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Le château de Bresse et Castille de Roger Mercier

33 de la route de Dole, 71620 Damerey

Roger Mercier à 96 ans. Photo prise à l'EHPAD du Bois de Menuse à Châlon-sur-Saône.

Roger Mercier (1926 - 2018) - Visite en août 2022

Le château de Bresse et Castille fait l'objet d'une inscription aux monuments historiques depuis 2017. La belle-fille de Roger Mercier et son mari ont décidé d'entreprendre les travaux de rénovation eux-mêmes. Ils aimeraient transformer cet habitat devenu précaire en chambre d'hôtes tout en préservant le site.

Roger Mercier, ancien marin et grand voyageur, s’est inspiré des pays qu’il a traversés et de ses aventures pour personnaliser son œuvre: architecture mauresque, couleur bleue typique du sud de l’Espagne, mausolée gardé par une panthère noire se trouve enterré un de ses fidèles chiens, mexicain dans sa bodega, sirènes et statue de Neptune...

Photographie: Romain Perrot

Roger Mercier a peuplé son domaine de représentations d’animaux de toutes sortes: oiseaux (perroquets, aigle, cigognes..), animaux exotiques (lion, zèbre, autruche, panthère, kangourou…), animaux de nos régions (cerf, biche et son faon, cheval…). Le château de Bresse et Castille compte une cinquantaine de statues en béton (hommes et animaux).

photographie: Romain Perrot

Une vingtaine de permis de construire ont été déposés pour mener à bien cette œuvre réalisée tout en béton, sans grue ni échafaudage, avec pour seuls outils un seau, une brouette et une pelle. La tour située dans le patio mesure 17m de hauteur et aura nécessité 295 seaux de béton.

Sa voisine était affable et accepta volontiers de me conter certaines anecdotes de la vie de Roger. "Il était touchant ce monsieur, il avait des pans de sa carrière dont il ne voulait pas trop parler mais il m'avait raconté plein d'histoires sur cette maison qu'il a entièrement construite. Tous les soleils que vous voyez sont des empreintes de son visage réalisées au moyen d'un moule en plâtre. Le toréador a les traits d'un de ses deux fils. La panthère est un hommage à son chat qui avait fait le tour du monde avec lui. Il y a là tout un mélange d'inspirations: on aperçoit des mexicains car il est allé au Mexique. Sa compagne Manuela Alonso était castillane, c'est là qu'il l'a rencontrée; Elle était veuve et lui aussi; elle avait une cinquantaine d'années et lui dix-ans de plus, à peu près. C'est ce qui explique l'appellation château de Bresse et Castille. Roger était Bressan puisqu'il était originaire d’Epervans. Cette maison il l'a faite un peu pour elle: il l'avait mise à son nom car il pensait partir avant elle. Il adorait la compagnie des autres et faisait, tant qu'il pouvait, visiter son château à tout le monde.

photographie: Romain Perrot

Elle me tendit un petit livret réalisé par l'équipe soignante de l'EHPAD du Bois de Menuse à Chalon-sur-Saône dans lequel les propos de Roger Mercier avaient été recueillis.

"Je suis né à Epervans, j'ai travaillé comme agriculteur quand j'avais dix-huit, vingt ans, avant de partir au régiment. J'ai travaillé comme engreneur. C'est celui qui, dans le temps, s'occupait du blé avant qu'on le rentre dans la maison. J'ai travaillé à l'entreprise Moreau à St-Martin-en-Bresse. Après je suis parti en Espagne, trois mois! C'était sur la fin. J'étais au cirque Amar, un ans à travers la France et trois mois en Espagne.

Au cirque Amar, je m'occupais de l'essence, du gasoil. Il y avait une remorque et sur la remorque, il y avait un appareil qui était dedans. Le matin je mettais le gasoil. Je faisais en sorte que ce soit propre (...) Après ça j'ai voulu m'engager, la guerre venait presque de se finir. On m'envoie en Indochine. En Indochine j'ai été blessé. Je suis donc invalide de guerre. Là-dessus ils m'ont dit, on veut pas vous garder; vous retournez en France. Je suis revenu et puis j'ai travaillé un an avec mon grand-père qui était artisan maçon. Puis, il m'a pris d'aller au soleil, j'ai dit : "Je veux aller au soleil!". Je suis parti en Algérie, j'ai pris le bateau et j'ai travaillé pour un pied-noir qui faisait de la ferraille. Là-dessus je suis resté un moment puis j'ai voulu partir pour l'Argentine. Je suis parti en Argentine et j'ai voulu chercher du travail. On m'a dit: "Oh non, y a pas de travail, il y a rien!". J'ai appris l'espagnol et j'ai pu travailler dans le bâtiment, dans les ponts, les viaducs.

Photographie: Romain Perrot

Puis j'ai cherché beaucoup à savoir et à connaître et je faisais presque chef de chantier à la fin. J'étudiais, j'avais ma tête. En prenant de l'âge, j'ai pas perdu la mémoire. Et puis j'ai travaillé à droite et à gauche et je suis allé au Chili. J'y ai été un an et demi. Après un an et demi, j'entre en « permission ». Je trouve un copain qui me fait: «Tu te plairais bien dans la Marine?» «Oh que oui je voudrais en faire mon métier. C'est sûr» «Passe donc un brevet de commandant en second, ils en cherchent tout le temps!» J'ai passé un brevet à l'école de navigation à Bordeaux.

Photographie: Romain Perrot

Quand je l'ai eu passé, je suis parti aux États-Unis. Quand je suis arrivé là-bas on m'a dit : «Mais non vous ne connaissez pas l'anglais, on peut pas vous garder!» J'ai dit "bon ben j'm'en vais". «Il me dit, on a une place pour vous mais faut aller au Mexique!» Alors j'ai dit «Et ben on ira au Mexique!» Là dessus j'ai roulé ma bosse, j'ai gagné beaucoup d'argent parce que j'étais payé en dollars et le dollar à ce moment-là il était haut. J'ai trouvé une Espagnole! Elle dit: «J'ai perdu mon mari il y a deux ans mais par contre, je veux un homme, je veux un monsieur, je veux qu'il soit à la maison. Je veux pas prendre un homme pour la route!»  Ça a fait que j'ai quitté la Marine et je suis venu chez elle. Elle était à Chalon. On est parti à la campagne. On a trouvé la maison mais c'est moi qui a tout fait. J'avais de l'argent.

Photographie: Romain Perrot, 2022

J'ai été vingt-neuf ans avec elle. Elle est morte il y a deux ans. Avant de mourir elle a dit: "Vous prendrez bien soin de Roger parce que j'ai été heureuse comme aucune femme n'a été heureuse." On s'est jamais disputés. Quand il y avait quelque chose qui allait pas on se taisait. On est allés dans le monde entier, au Japon en Australie dans les Indes. Tous les pays du monde! 29 ans presque 30 ans on peut dire! Et puis elle est morte. Quand elle est morte j'étais un peu perdu mais il y avait les enfants qui se sont occupés de moi. Ce sont ses enfants à elle.

photographie: Romain Perrot

Elle est décédée je me suis retrouvé tout seul et je me suis dit : «Qu'est ce que je vais faire tout seul?» J'ai été heureux, je le reconnais; aucune personne n'a été heureuse comme moi. Le sens de vivre, de profiter de la vie, moi je l'ai. Il y en a beaucoup qui restent dans leur village, qui n'ont rien vu! J'ai fait l'amour jusqu’à quatre-vingt huit ans. Si ma femme avait été encore là, c'est sûr que j'aurais continué. Elle me disait souvent : «Oh encore ça! Ça veut pas te passer?» J'ai une bonne santé.

Photographie: Romain Perrot, 2022

Enfin je suis parti à la retraite. C'était en 84 que je suis parti. J'ai commencé à monter mon château qui est à Damerey en 1986 avec un seau, une pelle et une brouette. J'ai construit une tour de 22 étages. Il fallait le faire hein? Toujours en avant! Toujours en train de chercher! J'ai voulu reconstituer des scènes du passé, un toréador, une danseuse de Flamenco, des Mariachis... J'ai monté le château, des tours, des arcades. Il y a des arcades qui sont arabes. Il y a beaucoup d'animaux, une centaine à peu près. C'est tout du béton sculpté. J'ai mis trente ans pour tout faire. Sur tout ça il faudrait que je remette les dates parce que je ne me rappelle pas de toutes les dates. Là-bas, tout le monde me connait et m'appelle « Capitaine ».