Cartographie des Rocamberlus

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La maison troglodyte de Bernard et Marie-Anne Roux

Doué-La-Fontaine, 49700

Bernard et Marie-Anne Roux - Visite en avril 2022

J'ai appris la disparition de Bernard Roux en mars 2023.

Texte écrit en septembre 2022 > La commune de Doué-la-Fontaine se situe au cœur du Pays saumurois, dans une région ponctuée de sites troglodytiques. La maison de Bernard et Marie-Anne Roux s'inscrit dans ce type d'habitat souterrain singulier, creusé dans la roche. La maison et la cour sont construites en contrebas, à quelques dizaines de mètres du niveau de la rue. Lorsque je pénétrai dans l'enceinte et que la porte donnant sur la rue s'ouvrit, je découvris depuis les hauteurs, un décor féerique en contre-plongée. Je contemplai alors le site depuis mon belvédère en attendant d'être reçue par la famille. La fille de Bernard vint à ma rencontre. Elle sembla hésiter à me faire descendre dans la cour car la famille se méfiait quelque peu des curieux qui abondaient régulièrement. Ses parents sont âgés, et même si elle occupe la maison voisine, elle souhaite les protéger d'éventuelles intrusions inopportunes. M. et Mme Roux prenaient plaisir à faire visiter leur site mais leur âge (à plus de 90 ans) et leur condition ne leur permettent plus désormais de recevoir du public. La porte d'entrée est automatisée et il faut emprunter un long escalier pour entrer dans la cour. La famille n'a pas les moyens d'installer un monte-charge et l'accès est exigu.

l'entrée. Photographie: Romain Perrot

Photographie: Romain Perrot

L'environnement dépeint un univers de conte de fée proche de l'esthétique des dessins animés de Walt Disney. Châteaux et habitats fantastiques en bas-reliefs viennent orner les parois de la roche. Nous sommes véritablement déréalisés dans cet univers fictionnel (auquel s'ajoute aussi des références à des architectures existantes telles que l'église de Chemillé ou la maison d'Adam à Angers). Saisis dans un tourbillon de couleurs, nous évoluons dans un espace fabuleux à la circulation sinueuse où se croisent pêle-mêle sculptures, bibelots, peintures murales, rocailles peintes ou végétation. Ce décor enchanteur couvre la quasi-intégralité de la cour et les murs d'enceinte. Tout est fait pour nous faire oublier cette roche creusée qui délimite l'habitat par le truchement de fresques, de bas-reliefs et de percées de ciel bleu en trompe-l’œil.

Photographie: Romain Perrot

l'église de Chemillé. Photographie: Romain Perrot

Photographie: Romain Perrot

De l'iconographie Walt Disneyenne nous repérons le château de la Belle au bois dormant, réplique en bas-relief à la maîtrise certaine qui pourrait tout à fait figurer parmi les décors du parc d'animation Eurodisney. Bernard Roux réalisa une frise peinte enchevêtrant plusieurs personnages de dessins animés différents : Hiawatha en pleine course suivi de Mowgli et Baloo marchant d'un pas chaloupé aux côtés d'un des trois petits cochons jouant de la flûte de pan. Les œuvres peintes par Bernard dialoguent entre elles, entrent en résonance avec les fresques en méplat ainsi qu'avec les sculptures, les nains de jardin et autres artefacts achetés dans les vides greniers par sa femme. Marie-Anne installait également les jardinières et plantait les petits bosquets. Dans cette partie qui se joue à deux, il arrive que l'un comme l'autre s'accomplissent dans la création. Deux œuvres alors cohabitent sous le même toit, s'en nourrissent mutuellement. Les arrière-petits-enfants Roux se mirent également à déposer des jouets pour parfaire cet environnement enfantin idyllique. Le site était autrefois illuminé et le conte de fée s'animait.

Photographie: Romain Perrot

Photographie: Romain Perrot

Photographie: Romain Perrot

Bernard n'étant plus en capacité d'entretenir son site, son petit-fils peignit et restaura quelques parties endommagées. Les enfants et petits-enfants Roux tentent de préserver le site des intempéries. La fille consacre un temps infini à ses parents dans le but d'améliorer leur confort de vie. « On a grandi dedans. C'est normal qu'on aide à l'entretien même si c'est beaucoup de boulot pour les enfants (…) C'est leur plaisir à l'âge qu'ils ont de voir leur cour entretenue et de se dire qu'il ont le droit d'en profiter». Entre le ménage et l'aide à domicile, elle peine néanmoins à maintenir le site dans son état originel.

Photographie: Romain Perrot

Photographie: Romain Perrot

Bernard reçut des ouvrages illustrés de Walt Disney à l'adolescence et la découverte de cet univers fut fondatrice tant et si bien qu'il se mit à les collectionner. Il commença par peindre un Mickey au niveau du mur dès les premières années de son mariage. Tout partit de là. Il travaillait d'après photo et traçait des quadrillages afin d'agrandir ses modèles. Il reproduisait le trait de chaque carré de la grille « source » dans le carré correspondant de la grille du support de destination. Il visita quelques environnements d'art singulier tels que le Palais Idéal du facteur Cheval, la maison Picassiette ou encore celle de Robert Tatin. Bernard s'intéressait aux autres créateurs de sa trempe et se nourrissait des divers voyages qu'il avait effectués. On imagine bien le besoin qu'ont ressenti les Roux de s'extraire pour quelque temps de cette roche creusée, aussi somptueuse soit-elle, se dressant telle une prison.

les compositions de Madame. Photographie: Romain Perrot

Photographie: Romain Perrot

Photographie: Romain Perrot

Photographie: Romain Perrot

J’eus également la chance de découvrir le salon des Roux. L'intérieur était entièrement boisé. Un décor non moins fourni et spectaculaire ornait les murs et le sol du salon. Mme Roux s'était visiblement trouvée une passion pour la récupération et aménagea la maison tel un petit musée de curiosités. Marie-Anne achetait des cuivres qu'elle lustrait pour les exposer dans le salon. A ces cuivres viennent s'ajouter des poupées, des tableaux peints, des étoffes chatoyantes, une vraie caverne d'Ali Baba dans un troglo.

Autoportrait de Bernard. Photographie: Romain Perrot

Photographie: Romain Perrot

Photographie: Romain Perrot

Marie-Anne nous suivait pendant la visite que menait sa fille. Elle semblait heureuse de se joindre à nous et aimait volontiers blaguer. Elle me racontait à une dizaine de reprises sa rencontre avec Bernard: « Il était angevin puis il a habité à Saumur. Je l'ai rencontré alors qu'il livrait des journaux. On s'est marié quand on avait 20 ans. J'ai toujours habité dans le coin, je suis une authentique troglo moi!». Quelques minutes s'ensuivaient et voilà qu'elle reprenait sa même logorrhée: « Il était angevin puis il a habité à Saumur. Je l'ai rencontré...». Sa fille ne tarissait pas d'éloges sur cette femme, issue d'une fratrie de 14 enfants «très volontaire...une vraie battante», selon ses dires. Dès la fin des années 50, les Roux entamèrent une œuvre qui ne cessera de s'amplifier. Leur travaux se complétèrent et s’harmonisèrent au fur et à mesure du temps pour arriver à un point d'accord absolu. En moins d'une heure, j'ai été chaleureusement présentée à une lignée entière de troglos. Des arrière-grands-parents Roux aux arrière-petits-enfants, j'ai eu la chance de tous les rencontrer. J’observais une dernière fois cette joyeuse ribambelle dont une petite délégation se détachait pour me raccompagner à la porte.

son premier Mickey. Photographie: Romain Perrot

Madame Roux et sa fille. Photographie: Romain Perrot