Cartographie des Rocamberlus

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Vivi Fortin à la Flocellière

Le Pas Français, 85090, Sèvremont

Vivi Fortin - Visites en mai 2022 et janvier 2023

Je rencontrai pour la toute première fois un créateur en plein ouvrage. A mon arrivée sur les lieux, Vivi Fortin peignait une fresque en méplat (bas-relief aux surfaces principalement planes et peu modelées) sur le mur d'un abri de jardin. Je m'en voulais de l'interrompre en pleine activité mais l'enthousiasme avec lequel il accueillit ma venue me conforta. Il me décrivit, avec un débit ininterrompu, ses dernières réalisations: « Tu vois sur ce mur il a représenté Brigitte Bardot à la Madrague, Marcel Cerdan et Edith Piaf, les trois religions qui s'unissent, un cœur vendéen (...) Est ce qu'il a d'la gueule? Tu vas être surprise car il parle de tout".

L'utilisation du "il" me laissa circonspecte. Je n'étais pas sûre de comprendre. Vivi Fortin parlait bien de lui à la troisième personne et m'apprenait par là-même une pratique langagière authentiquement vendéenne. Cet usage de la troisième personne du singulier ne servait en aucun cas à le pontifier mais respectait l'usage du parler maraîchin ou le "Je" devenait "I".

Le tour du propriétaire s'étend sur une heure et débute à un endroit précis. Il détermine un sens de visite auquel il souhaite se soumettre sans en connaitre la motivation première. Il me confie avoir réalisé 900 sculptures en 10 ans. "A partir de 900 sculptures je ne compte plus".

Chacune de ses œuvres de dote d'un 6+6 en guise de signature: Le VI en chiffres romains est comme le VI de VIVI

Vivi cherche à embrasser toute l'actualité au travers de son œuvre: "tout y passe, je parle de tout ce qui se déroule dans le monde". Il pense sa pratique artistique comme une vocation qui doit peu à peu se révéler à travers la reconnaissance d’un cercle s'élargissant de l’entourage proche à un public et devant répondre à leur exigences. Pour qui crée-t-il en premier lieu? Difficile de savoir ce qui prévaut à sa démarche tant son altruisme se développe dans son art. "Je fais ça pour donner du plaisir aux gens, les gens me donnent la pièce, des bouteilles, des trucs comme ça mais je ne vends pas (...) Si tu veux, tu peux prendre un p'tit reportage, enregistrer et faire des photos, ça me va". Vivi aspire avant tout à mener une vie simple et sans malveillance. Il se désole de la dissension entre les peuples qu'il constate aux quatre coins du monde. Un thème iconique lui apparut en songe un beau jour et scella sa pensée pacifiste: les trois religions monothéistes s'unissaient enfin mettant un terme aux conflits idéologiques de tous ordres. Le thème de l'entente interreligieuse s'inscrit en filigrane dans son œuvre.

Vivi est aussi très attaché à l'histoire de sa région. Le cœur vendéen, souvent représenté dans ses œuvres, se donne à voir dès l'entrée de sa maison accompagné du titre: "être fier d'être vendéen". Les moments forts et douloureux de l'histoire vendéenne ont forgé l'identité de cette région et certains créateurs y puisent leur inspiration. On pense ainsi à l'œuvre de Pierre Sourrisseau, inventorié dans cette cartographie.

Aux prémices de son œuvre, Vivi s'initia à la sculpture sur pierre mais se rendit vite compte qu'elle ne deviendrait pas son matériau de prédilection. Il s'essaya ensuite à la sculpture sur bois sans y prendre goût. C'est en convoquant ses connaissances dans le domaine de la maçonnerie qu'il révéla son don. Il se mit à réaliser des structures en ferraille qu'il recouvrait de béton faisant naître les formes du visible en modelant le béton de ses mains. Ce procédé correspondait davantage à ses compétences de maçon et de plâtrier, activités qu'il exerça pendant 43 ans. Une sculpture dans le jardin de Vivi, conçue au moyen d'outils et d'accessoires employés lorsqu'il était en activité, vient commémorer symboliquement cette vie de labeur; des bottes, un casque de chantier, une brouette, une pelle... et des bouteilles glissées dans les bottes, s'assemblent pour donner forme à un être. "A l'époque, on avait le droit de boire sur les chantiers".

quarante-trois ans de travail

Pour m'être rendue chez lui à trois reprises au cours des deux dernières années, je me rendis compte qu'il se répétait inlassablement. La toute première visite fut identique aux suivantes. Quid des dizaines de visites mensuelles qu'il se plait à effectuer auprès de son public? Sa démarche est didactique. Vivi a même laissé certaines sculptures à l'état d'inachèvement afin d'en révéler le processus de création :

La visite guidée commence par les œuvres exposées dans le jardin. Vivi nous montre ses premières réalisations en ciment : un joyeux bestiaire (coqs, poules, biches, chiens, chats, oiseaux) batifole dans l'herbe. Les animaux cohabitent harmonieusement en dépit de leurs différences. On retrouve là un thème cher à son créateur qui s'érige en porteur de messages de paix et de fraternité.

S'ensuivent des sculptures à taille humaine de personnalités médiatiques. Vivi se moque doucement lorsqu'il caricature certaines figures de l'actualité politique. Les sujets choisis sont davantage prétextes à des calembours et à des détournements humoristiques, procédés qu'affectionne particulièrement l'auteur. C'est encore et toujours son humanisme qui transparait dans son œuvre ainsi que dans ses discours.

Un peu plus loin, on tombe nez à nez sur Didier Raoult, le penseur de Chloroquine (le terrain sur lequel la statue a été érigée était couvert de fleurs). L'actualité est au centre de ses préoccupations artistiques. C'est comme s'il devait circonscrire l'étendue des informations qu'il percevait depuis son poste de télévision. Ses œuvres questionnent, amusent ou émeuvent mais ne laissent pas le spectateur indifférent face aux sujets abordés. "Je souhaite parler de sujets qui veulent dire quelque chose ".

Après avoir fait le tour du jardin, on finit par découvrir les œuvres qui sont exposées au garage et qui jouxtent son atelier. Elle sont disposées sur des étagères qu'il a aménagées pour les accueillir. On suit le guide dont la logorrhée s'accélère afin qu'il ait le temps de décrire chacune de ses œuvres dans les délais impartis.

Ce n'est que lorsque Vivi décide de se remettre au travail, que je prends le temps d'admirer quelques unes de ses réalisations . Avant de poursuivre son activité créatrice, il me propose de boire un coup. Il a aménagé un petit coin de salon dans son garage et les étagères sont généreusement pourvues en alcools et boissons que les visiteurs lui offrent pour le remercier.

Vivi et ma cousine Pauline

Vivi n'exige ni rémunération pour la visite ni ne cherche à vendre ses sculptures. En revanche il se plait à lire les commentaires élogieux qui lui sont adressés sur les réseaux sociaux. Il est heureux de faire connaitre son travail et peut, de cette façon, faire de nouvelles rencontres. Il est très actif sur Facebook et n'hésite pas à y publier régulièrement. Depuis que nous nous sommes rencontrés, il m'envoie des petits "coucou" sympathiques et me tiens au courant de ses nouvelles réalisations. Je vous invite à consulter son profil (après l'avoir rencontré car rien ne vaut la découverte in situ) qui répertorie une grande partie de sa production.

Je n'ai pas su résister au désir d'acquérir une de ses sculptures. Cette pulsion, systémiquement installée par le consumérisme, s'est manifestée dans toute son outrecuidance lorsque je suis tombée devant mon idole de jeunesse: Jacques Secrétin. J'adorais son spectacle humoristique, le Show Secrétin-Purkart, une démonstration rocambolesque entre deux champions du ping pong français, à la frontière du sport et du spectacle donnant à voir des échanges spectaculaires et de nombreux autres gags... La sculpture achevée, je retournai au Pas Français pour la récupérer et eus droit à une autre visite guidée, à la vitesse d'élocution stratosphérique. Merci Vivi pour Jacques! Il se porte bien et t'envoie le bonjour comme tu peux le constater sur la photo. Jacques Secrétin nous quitta le 24 novembre 2020. Cette idole commémorative trône désormais dans mon salon, et aucun jour ne passe sans que je ne fonde devant ce regard de chien battu.