Cartographie des Rocamberlus

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Les accumulations de Serge Blanchart

Chemin de la Motte Samson, 91120, Palaiseau

Serge Blanchart - visite en septembre 2022

C'est à la faveur d'un déplacement professionnel en tramway à Massy Palaiseau qu'un ami et amateur d'art, Jean Leneutre, identifia pour la première fois cet environnement. Les usagers de cette ligne de tramway pouvaient saisir en peine course un ensemble fouillis composé de bric et de broc depuis la vitre de leur habitacle qui, de prime abord, aurait pu passer pour une décharge publique pour un passager inattentif. Jean n'ayant admiré cet ensemble que depuis la lunette d'un wagon avançant à 60km/h, je décidai de m'y rendre à mon tour afin de m'approcher au plus près de cet environnement et de circonscrire l'étendue du domaine. Des installations prolifèrent le long de la voix de tramway. Une première rangée de tracteurs et des mannequins grandeur nature affublés de tenues de travail sont exposés à l'avant d'une maison qui se profile au-delà.

On longe par la suite un terrain végétalisé composé de plants d'oliviers et de fabriques miniatures. S'ensuit une succession de carcasses de voitures: 4L, 2CV et autres carrosseries ternies viennent trouver du repos en ces lieux. La maison, plutôt une cabane, surplombe ce mirifique talus d'épaves. Sa façade est recouverte d'artefacts en tous genres: bibelots, effigies de ciment, plaques en tôle, vieilles enseignes publicitaires, bouées ou encore des roues de bicyclette viennent rehausser la façade où trônent sous le toit un vieux fusil et une guitare, singularité proche d'une esthétique redneck.

C'est à ce moment que Serge Blanchart, vêtu d'un gilet de sécurité jaune pétaradant, émerge de ce capharnaüm pour venir à notre rencontre. Il nous propose de faire un tour du propriétaire, des amas de toutes sortes et de toutes parts prolifèrent autant à l'intérieur qu'autour de la propriété: des milliers de collections de bons au porteur, des dizaines d'instruments de musique, des centaines de revues, des pelletées d'outils agricoles, des tas de vélos, des flopées de lits d'enfants, des palanquées de marmites. Serge accumule certes mais dans le but de redonner vie aux rebuts du quotidien d'où cette nécessité de le conserver. Contrairement aux accumulateurs qui entassent généralement leurs objets en cachette, poussés par un besoin compulsif qu'ils qualifient eux-mêmes de honteux, Serge Blanchart les exhibe fièrement.

«Ici on avait des terres agricoles calcaires parmi les plus importantes d’Île-de-France. On faisait pousser de la vigne, des oliviers... Aujourd'hui on ne veut même pas profiter de ces richesses, on détruit tout et on bétonne. Puisque plus rien n'est fait en ce sens, j'essaie de faire quelque chose. Alors j'ai replanté des arbres et tous ces oliviers. Le but du jeu, c'était d'acheter un corps de ferme avec des poules, des œufs... J'avais aussi construit une terrasse à l'avant de la maison dans le but de recevoir des gens, des passants, mais la loi française me l'a interdit. Je ne pouvais rien installer à moins de 4 mètres du trottoir. Mais bon sang, c'est pas du fric que je cherche, c'est de la convivialité! Les voisins ne me parlent pas, il n'y a pas de communication. Moi je suis très heureux même en étant tout seul. On aurait pu se réunir entre voisins mais bon... Les gens s'ennuient, restent immobiles.

Je voulais leur montrer qu'avec rien on faisait tout. J'ai commencé en 2005 à faire tout ça, à accumuler toutes ces choses. J'aime quand les gens s’arrêtent et comme je suis bavard, je discute avec tout le monde mais je n'ai pas fait ça pour être regardé. Tu me juges ou pas, ça m'est égal. J'ai eu toutes les difficultés du monde à m'intégrer dans le coin. Je suis parti d'un arrosoir et je suis tombé dans une baignoire. Je suis parti de rien. Je suis un envahisseur, j'ai plusieurs entrepôts annexes et je ne m’arrête jamais. Tu me demandes un barbecue, je te fais un château, pour te faire plaisir. Un objet qui m'interpelle... Ça peut être une mobylette, une pompe à essence. Les gens n'en veulent plus mais moi j'y trouve un attrait. Je découvre tous ces objets, c'est un émerveillement, j'ai retrouvé une magnifique cloche, 80kg de cloche et c'était magnifique.

J'ai fait plein de trucs dans la vie, j'ai été SDF pendant six ans, dans les années 90. Je connais les difficultés de la vie. Mon entreprise s'est cassé la gueule, avec la guerre du Golfe et j'ai été obligé d'arrêter. Je me suis retrouvé demandeur d'emploi, démerdez vous qu'on m'a dit. J'ai fait tous les métiers du monde: chauffeur, ébéniste, j'ai été commercial et j'adorais ça. J'ai voulu découvrir la vie: j'ai connu le rock'n'roll, les hippies. J'ai connu le milieu du show-biz, je partais six jours sans rentrer chez moi... les boites de nuit, les cabarets, les boites de travestis, tout m’intéressait.

J'ai été un enfant malheureux, pas aimé de mes parents. Je suis parti très tôt car je ne voulais pas être paysan. Dans le temps l'éducation c'était à la dure. Le souvenir de votre enfance restera toute votre vie. Je voyais mes parents trimer, j'ai détesté la terre. La terre c'est dur. Je travaillais avec des chevaux de traits, ma mère faisait 2m de haut, elle chaussait du 46, une force de la nature. L’important pour eux c'était de réussir: la maison, la voiture mais l'enfant était de trop. J'étais pas prévu au programme. J'ai été foutu en pension à 6 ans et je me souviens des coups de gourdin en pension. Mes parents ne venaient pas me voir. je ne peux pas avoir connu pire. Je pense toujours à la chanson de Maxime Le Forestier: «Le frère que je n'ai jamais eu». Quand je récupère des jouets c'est pour les filer aux gosses. Je suis un homme-enfant. Dans le temps je n'ai pas reçu un seul jouet. Il ne me reste plus beaucoup de pièces que j'ai moi-même confectionnées. Ah tiens, ici j'ai fait un dragon en bois pour les enfants. Tout ce que j'ai fait, je l'ai donné et les objets des autres je les garde.

Quand je fais ça c'est instinctif, je sais que ça évolue mais je n'ai pas de projet en tête, ça vient comme ça à brûle-pourpoint. Je trie, je classe, je range simplement. Moi ma maison elle a de la vie! Quelqu'un me disait l'aut' jour, quand tu vas mourir qu'est ce que tu vas faire de tout ça? Déjà j'ai pas envie de mourir. J'ai failli mourir, j'ai été en réanimation mais je m'en suis sorti et je compte rester en vie un bon bout de temps. Et je fais pareil avec les objets. Je réanime les objets qui sont en train de claquer, je leur donne de la vie.»