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Les "Mauganeries" de Fernand Maugan

74 Rte de Gien, 45110 Saint-Martin-d'Abbat

Photographie: Romain Perrot

Fernand Maugan - visites en février et août 2022

C'est par l'entremise de Bruno Montpied qu'il m'a été donné la chance de découvrir ce site. Bruno l'avait lui même décelé de façon totalement inopinée l'été dernier en visitant le Village des Boîtes aux Lettres de Saint-Martin-d'Abbat dans le Loiret. C'est à l'initiative de Michel Lafeuille, un amateur d'art à la retraite que naquit cet étonnant projet de boîtes au lettres personnalisées, véritable initiative de musée à ciel ouvert. Michel souhaitait donner une identité culturelle au village au travers d'un projet à la portée de tous. Il organisa le premier concours en 1997 et poursuivit cette entreprise pendant quelques années. Pas moins de 200 boîtes aux lettres firent alors leur apparition. En 2001, la commune de Saint-Martin-d'Abbat se dota de l'appellation "Village des boîtes aux lettres". Vingt ans plus tard, Bruno Montpied se rendit sur les traces de ces artéfacts postaux et découvrait l'environnement de Fernand Maugan.

Photographie: Romain Perrot

Fernand fut primé pour ses réalisations. Ses boîtes aux lettres furent même exposées au musée de la Poste à Paris. Il en conçut une dizaine pour son entourage et des habitants de la commune dont une boîte aux lettres "Titi et Grosminet", très cocasse, installée sur la place de la mairie.

Fier de cette reconnaissance nouvellement acquise, Fernand s'attaqua à l'édification et à l'ornementation de deux murs attenant à sa propriété : un mur en pierre (son mur de "Mauganeries" comme il le nomme) qui délimite l'arrière de son habitation qu'il va enrichir de nombreuses incrustations et de bas-reliefs puis de l'autre côté du chemin, un grillage ponctués de stèles aux inscriptions diverses, de maçonnerie décorative, de sculptures de plain-pied, d'objets de récupération détournés...

Je rencontrai Fernand pour la première fois en février 2022 mais, ne m'étant pas annoncée, il m'indiqua, l'air embêté, qu'il était sur le point de visionner un documentaire consacré à l'actrice et chanteuse Marie Laforêt, artiste qu'il affectionnait particulièrement. Je décidai alors de revenir avec les beaux jours pour appréhender son œuvre. Fernand me reçut plus tard dans l'année en août, décidé à me montrer l'ensemble de ses réalisations : des boîtes aux lettres disséminées dans la commune aux aménagements décoratifs effectués dans la propriété de sa sœur, les murs et sculptures entourant sa maison ainsi qu'un terrain aménagé autour d'un étang aux nombreuses fabriques m’offrant ainsi un panorama complet de son intervention artistique.

Photographie: Romain Perrot

Photographie: Romain Perrot

C'est en 2011, à son départ à la retraite à l'âge de 61 ans, qu'il s'appliqua à cette édification ambitieuse (les cloisons ornementales s'étendent sur une centaine de mètres). Après avoir réalisé une boîte aux lettres (un phare de plain-pied d'1,50m de hauteur pour lequel il fut primé) Fernand entreprit d'ornementer le pourtour de la façade d'entrée puis s'attela aux murs d'enceinte délimitant sa propriété.

Photographie: Romain Perrot

Fernand avait des dispositions particulières pour le dessin et les pratiques manuelles pendant sa scolarité. Il se forma très tôt à la pratique de la maçonnerie. A sa sortie du service militaire à l'âge de 22 ans, il se mit à son compte comme maçon puis se spécialisa dans la construction et la décoration de cheminées. "J'ai construit ma maison moi-même(...)J'étais maçon, carreleur, je faisais de la rénovation, j'ai tout fait sauf la plomberie et l'électricité(…)J'en ai tellement bavé pour me faire connaître dans ce métier. Je suis parti avec 0 centime, et ça a été compliqué de me construire une carrière. J'étais à mon compte et c'était difficile de se faire connaitre(...)Je ne savais pas ce que je valais mais j'étais poli." De ces dures années de labeur, Fernand se forgea une détermination sans faille et une volonté d'accomplir sans borne. Il aime à penser que son parcours a vocation d'exemplarité.

Photographie: Romain Perrot

Lorsque je l'interrogeai au sujet de son ambition créatrice survenue à la retraite, Fernand m'indiqua qu'il avait cœur à se faire connaître, ambition toute légitime pour un artisan/artiste qui pouvait dès lors s'exprimer en toute liberté indépendamment d'un cadre professionnel. Il désirait par là même inscrire son œuvre dans une visée patrimoniale. Il souhaitait pareillement montrer à la jeunesse son savoir ainsi que la somme de travail qu'il avait accomplie par sa seule volonté. "Si je peux être un modèle pour des jeunes ça peut être bien." Une inscription sur un pan de mur résume cette "modeste" ambition : "Je ne demande pas votre compréhension, mais je demande votre respect". Quelque peu avant son départ à la retraite, Fernand préparait déjà l'œuvre qui allait s'ensuivre. "Je mettais déjà des pierres de côté et je commençais à réfléchir à ce que j'allais faire". Grâce à ses contacts dans le milieu du bâtiment il put collecter quantité d'équipement, d'outillage pour conduire cette nouvelle entreprise artistique. Son métier lui apporta tout le savoir-faire et l'habileté dont il avait besoin pour mener à bien ses velléités créatives. "J'étais créateur, fabricant de cheminées sur mesure. Je les dessinais directement sur du placo ou sur des feuilles... Les clients voulaient une cheminée "Maugan" alors je les personnalisais tout en tenant en compte de leurs goûts. Je faisais les cheminées mais je les réparais aussi."

Avec tout ce qu'il a amassé, Fernand commença son oeuvre. Ses copains passaient le voir et lui déposaient tout un tas d'éléments : des colonnes de lavabo, des carreaux, de la vaisselle... Il écumait également les vide-greniers des environs." Je me débrouillais et j'étais à l'affût de tout(...)Une dame m'a apporté plein de pots dernièrement parce qu'elle faisait de la poterie."

Au-delà de la dimension décorative, on s'aperçoit que sa production regorge de messages en tous genres : inscriptions de nature autobiographique, calembours, annotations personnelles... Fernand cherche à travers ses mots et son humour à établir un dialogue avec le spectateur. Certaines œuvres favorisent l'interaction, incitent le visiteur à se mouvoir de façon spécifique. Celui-ci est souvent pris à parti au travers de ses réalisations et de nombreuses inscriptions viennent jalonner le site. Fernand se plaît à converser avec les promeneurs qui viennent, l'air amusé, apprécier son œuvre. "Je fais le guignol avec les gens, j'aime bien qu'ils me prennent en photo, qu'ils viennent me parler, c'est sympa... 1 2 3 4 5 pas... ahah".

"Mais dites-moi, vous allez me faire connaître avec tout ça ? J'ai déjà des articles qui parlent de mes boîtes aux lettres et de mes murs. Moi c'est du concret ce que je fais, c'est pas du Picasso." Force est d'avouer que Fernand aime la flatterie. Deux artistes de sa connaissance ont réalisé son portrait et Fernand les expose fièrement avec ses propres créations, allant jusqu’à dresser une stèle surmontée de son portrait sculpté avec mention de sa date de naissance et d'un espace quant à la date de sa mort à venir. 

Portrait de Fernand près de son étang

Il y a même dressé une stèle composée de son portrait sculpté avec mention de sa date de naissance et d'un espace quant à la date de sa mort à venir. Quelques boîtes aux lettres viennent ponctuer ça et là ses murs de créations. Il aime recevoir des petits mots personnalisés de ses visiteurs. Certains promeneurs glissent parfois un petit billet mais ces occasions se font rares. Entre le coût de création de ses nouvelles œuvres et l'entretien du site, Fernand engage beaucoup de dépenses : il y a le ciment, le vernis sur pierre, la colle.

Photographie: Romain Perrot

Photographie: Romain Perrot

Fernand Maugan s'intéresse également aux autres environnements singuliers qui parviennent à sa connaissance. Il visita la cathédrale de Jean Linard à Neuvy-Deux-Clochers il y a peu et me conta une rencontre récente avec un créateur à Pithiviers : "C'est plus fouillis ce qu'il fait, pas comme moi". Fernand me fit passer de l'autre côté de la bordure de stèles alignées le long du grillage. L'accès n'est possible que par un portail dont lui seul détient les clés. Il acheta cette parcelle de terrain il y a 40 ans et l'aménage depuis une dizaine d'années. Il y disposa quelques sculptures ainsi que des figures en tôle peinte autour de l'étang. Ces personnages dansent joyeusement ou contemplent la vue assis sur un banc au bord de l'eau dans un cadre parfaitement bucolique.

Photographie: Romain Perrot

Photographie: Romain Perrot

Photographie: Romain Perrot

Fernand y creusa un étang, construisit un petit pont de pierre et planta tous les arbres autour de la propriété. Des petites cahutes en maçonnerie donnent sur le plan d'eau : on y trouve une salle de danse, une cuisine, un terrain de pétanque, un barbecue extérieur, des tables de pique-nique en mosaïque. Ce terrain se présente comme un petit bout de paradis, un lieu de repos et de convivialité. Fernand met cette parcelle à disposition de nombreuses familles. Beaucoup de randonneurs y viennent trouver le repos en ces lieux. Il faut découvrir cet espace pour se rendre compte de l'ampleur de ce qu'il a accompli. Fernand est un touche-à-tout qui ne s'arrête jamais. Cette compulsion créatrice le pousse à se renouveler sans cesse : " Quand je n'ai plus envie de faire quelque chose je passe à autre chose, j'essaie de finir quand même. C'est dans l'erreur qu'on apprend le plus vite(...)Je ne fais pas deux à trois fois les mêmes conneries. "

Photographie: Romain Perrot

Photographie: Romain Perrot

Nous fîmes ensuite le tour de Saint-Martin-d'Abbat pour partir à la découverte de ses boîtes aux lettres et finissons par visiter la maison de sa sœur Christiane. Fernand lui a confectionné une boîte aux lettres ainsi qu'un abri extérieur composé de belles tables en mosaïque. Il s'est occupé également de l'aménagement et de la décoration de sa maison. Les deux s'entendent bien et partagent cette même sensibilité artistique. Elle dit avoir de la chance de l'avoir. Que n'a été mon étonnement en découvrant une dizaine de mannequins disposés sous la pergola, évoluant entre les tables en faïence de Fernand.

Photographie: Romain Perrot

Suite à la fermeture d'une boutique de prêt à porter, Christiane récupéra ces modèles et les disposa dans sa propriété. On en trouve dans le jardin mais aussi dans la maison. Elle les habille et les change régulièrement de place, "quand ça me tape" dit-elle. ll semblerait que ça leur tape souvent, aux Maugan ! 

Photographie: Romain Perrot

Et lorsque Fernand s'évade à Pont-Aven (c'est un Breton d'origine), installé dans son mobile home, il poursuit son œuvre en s'attelant à son nouveau projet d'aménagement décoratif autour de ce petit habitat de fortune. Il rapporte même des pierres du Finistère lorsqu'il retourne dans le Loiret. Je reçois régulièrement des cartes postales de Bretagne que m'envoie Fernand. Sur son répertoire téléphonique, je suis sa "visiteuse de Paris" et Fernand aime que nous nous donnions des nouvelles de temps en temps.

Photographie: Romain Perrot

  • - Bruno Montpied: Du Village des Boîtes aux Lettres à Fernand Maugan et ses "Mots-ganeries", la culture populaire actuelle en actionCréation Franche n°55, Bègles, décembre 2021. - Bruno Montpied: Art populaire ou poésie faite par tous?, Artension n°170, Paris, novembre-décembre 2021.