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La maison au "Soleil sans fin" de Mario Goldoni

1 place Clémenceau Quesnoy-sur-Airaines

Mario Goldoni (1922 -1994) - visite en décembre 2022

Entretiens avec Sandrine La voisine et Marie Hélène la fille de Mario.

Ignorant tout de l'état actuel du site, je ne m'étais pas annoncée en arrivant sur les lieux. Je sonnai sans réponse. Me voyant sur le pas de la porte tenant un livre à la main, sa voisine Sandrine vint me rejoindre pour en savoir davantage à mon sujet. Je lui montrai la notice consacrée à M. Goldoni dans l'ouvrage de Bruno Montpied Le Gazouillis des éléphants afin de lui faire connaître mes intentions. Ces curieuses visites peuvent paraître bien intrusives eu égard à la tranquillité de ces campagnes et revêtent l'apparence d'un démarchage commercial. Les situations se répètent : je sors de la voiture, les rideaux s'entrouvrent, des ombres guettent aux fenêtres sans pour autant se manifester.

Sandrine au contraire est tout de suite apparue. Elle m'apprit que la maison était habitée par Marie-Hélène, la fille de Mario Goldoni. Elle s'inquiéta de ne pas la trouver chez elle ce jour-là et tenta de la joindre à plusieurs reprises. Cette attention révélait une certaine affection bienveillante pour cette voisine âgée de 64 ans qui vivait seule depuis de nombreuses années.

Photo de Francis David dans le Guide de l'art insolite, Nord - Pas de Calais, Picardie. Paris : Herscher, 1984.

En contemplant la façade de la maison et en la comparant à la photographie prise par Bruno Montpied en 2011 et publiée dans Le Gazouillis des éléphants, je remarquai, comme dans un jeu des sept erreurs, quelques changements significatifs: une statue représentant une danseuse avait été déplacée, des éléments décoratifs manquaient à l'appel et pour finir les sculptures et divers moulages avaient été peints de couleurs différentes. Était-ce l'usure naturelle de ces artefacts qui altérait à ce point les couleurs? Dans une photographie plus ancienne prise par Francis David dans son Guide de l'art insolite du Nord/Pas-de-Calais/Picardie datant de 1984, la couleur des vêtements portés par cette danseuse était tout autre. Les fabriques miniatures ont disparu mais les sculptures sont restées intactes devant la maison.

Marie-Hélène finit par arriver et le récit de l’œuvre de M. Goldoni put ainsi commencer. Je lui appris l’intérêt suscité auprès de certains amateurs d'art pour les réalisations de son père. Peu d'informations avaient été recueillies au sujet de sa vie jusqu'ici. Mario Goldoni est décédé en 1994, à l'âge de 72 ans. Originaire de la banlieue milanaise , il aurait vraisemblablement quitté l'Italie à la fin de la Seconde Guerre pour venir s'installer en France. Sa femme était originaire de Bettencourt-Rivière et cette rencontre expliquerait son installation dans la région. Mario se retrouva veuf prématurément et éleva seul ses 6 enfants. Il occupa divers métiers liés à la construction et se spécialisa dans la maçonnerie. Infatigable besogneux, quand il ne travaillait pas pour les autres, il s'adonnait à ses réalisations la nuit, lorsque les enfants étaient couchés.

Marie-Hélène vit dans une maison emplie des souvenirs de son père. Elle ne s'est jamais vraiment remise de sa disparition me confiait sa voisine. Des mosaïques ornent les murs et les sols de la maison. Moules et assiettes de sa confection sont exhibés aux côtés des photos de famille. Mario a réalisé quelques fresques à l'intérieur de la maison ainsi que dans une cour fermée à l'arrière. Il peignait des scènes animalières, des vues maritimes ainsi que des paysages idylliques montrant des châteaux de contes de fée en arrière plan. Un château miniature en pierre était posé au sol. Je repensais à la photographie de Francis David dans laquelle on apercevait Blanche-Neige et trois nains (de sa propre confection) devant un château de même facture installés dans le jardinet devant la maison. « À l'époque, des rallyes touristiques passaient par là et nous demandaient de leur donner les noms des trois nains de jardin entourant Blanche Neige ». Cet ensemble sculpté fut un temps installé près du monument aux morts de Quesnoy-sur-Airaines. Lorsque le monument aux morts fut déplacé (pour des raisons de sécurité routière), l'ensemble réalisé par Mario fut démantelé.

Photo de Francis David dans le Guide de l'art insolite, Nord - Pas de Calais, Picardie. Paris : Herscher, 1984.

La référence au dessin animé de Walt Disney se retrouve de façon récurrente dans les œuvres d'autres habitants paysagistes. Le château de Blanche Neige représenté sur un bas relief de la cour de la maison troglodyte de Bernard Roux à Doué-la-Fontaine me vient en tête. Il en va de même des nains de jardins qui prolifèrent à la fois dans les jardins pavillonnaires et dans les campagnes. En ce qui concerne nos créateurs autodidactes, on pense à la maison de Madame Chartier à Grand-Quevilly (aujourd'hui disparue), aux nains exhibés devant la maison de Jean-Marie et Marie-José Moren à Neufchâtel-Hardelot ou encore à ceux installés sur la réplique miniature du pont de Belcastel par Abel Malgouyres. Lorsque les studios Disney adaptèrent le conte en dessin animé en 1937, le succès fut immédiat et ne se démentit pas par la suite. Ce film d'animation suscita un fort impact sur le public de l'époque. Mario avait 15 ans à la sortie du film. L'avait-il visionné? Se serait-il inspiré d'ouvrages de Walt Disney pour ses peintures, maquettes et sculptures?

Les murs de cette cour étaient rongés par l'humidité. Sandrine m'apprit qu'un projet de réhabilitation de cet espace, dans le cadre d'un partenariat d'aide pour personnes défavorisées, était engagé. Ainsi, que deviendront ces fresques peintes lorsque les travaux auront été entrepris? Elles ont déjà pâti des infiltrations d'eau tant et si bien que Marie-Hélène s'est évertuée non sans mal à les entretenir. Elle n'a pourtant pas les mêmes dispositions plastiques que son père et pose au pinceau des aplats de couleur sur les parties endommagées dans le but de restaurer les œuvres. Il en résulte un ouvrage assez fascinant entre paysage naturaliste et aplats vifs et colorés, faisant tendre ces vues vers une certaine forme d'abstraction. J'observais depuis la rue une fresque de la même facture, vraisemblablement réalisée par M. Goldoni, dans la cour d'une maison attenante à sa propriété. Il aurait été judicieux de l'analyser de plus près afin de mieux saisir la nature des restaurations pratiquées par Marie-Hélène sur les autres œuvres de son père.

une assiette de Mario Goldoni

une assiette peinte par Marie-Hélène

Certes on pourrait déplorer l'outrage rendu à ces fresques par ces restaurations anarchiques, elles n'en deviennent pas moins fascinantes pour autant par leur dichotomie de formes. Cela fait trente ans qu'elle «assure l'entretien» des œuvres de son père et les sauve des intempéries. Elle tente de restituer son œuvre, avec toute l'admiration qu'elle lui porte, au travers d'une pratique silencieuse dont le cheminement se conduit dans la solitude. « Je fais ça parce que j'aime bien mais aussi pour lui rendre hommage. Pour moi c'est un grand souvenir (...) Je m'entendais très bien avec lui. C'est moi qui l'ai vu mourir vous savez ». Marie-Hélène était peu diserte mais elle faisait passer bien des émotions au travers de ses silences.

Je compris alors que les changements de couleur opérés sur les sculptures et les moules confectionnés par Mario lui étaient imputables. Elle « s'amuse », selon ses termes, à les changer de place ou à les re-pigmenter. Ne serait-ce pas une façon de redonner vie à ces êtres de ciment en les sortant ainsi de leur morne torpeur? Marie-Hélène m'apprit que les personnages situés au niveau de l'entrée de la maison furent réalisés entre 1956 et 1958, soit près de 70 ans de cohabitation entre une danseuse, un homme victorieux et une chèvre. Ils auraient été sculptés d'après imagination pense-t-elle. L'art de la statuaire de jardin a toujours été très prisé en Italie et Mario rendait hommage par là-même à une tradition décorative ancestrale. Il en va de même pour l'art de la mosaïque. Mario récupérait dans les chantiers et les décharges la faïence cassée nécessaire à l'élaboration de ses ornementations murales. Les sols de la maison étaient pavés de carreaux de ciments disparates donnant à cet habitat de fortune une touche très singulière.

Pour finir, que dire de cette épigraphe énigmatique située au-dessus de la porte d'entrée : « Soleil sans fin ». Une citation de Mario Goldoni, figurant dans le Guide de l'art insolite du Nord Pas de Calais/Picardie de Francis David, incitait le lecteur à découvrir son sens caché: « Le jardin s'appelle Soleil sans fin. Il faut deviner ce que ça veut dire ». Léandro Barzabal, un ami présent lors de cette visite, me désigna un moule en céramique, accroché au mur d'une des pièces de l'habitation et qui avait échappé à mon attention. On y lisait l'inscription suivante tirée d'un proverbe provençal: « Un jour sans vin. Un jour sans soleil ». Cette œuvre cachée révélait au grand jour le mystère de son incarnation!

  • - Bruno Montpied, Le gazouillis des éléphants : tentative d’inventaire général des environnements spontanés et chimériques créés en France par des autodidactes populaires, bruts, naïfs, excentriques, loufoques, brindezingues, ou tout simplement inventifs, passés, présents et en devenir, en plein air ou sous terre (quelquefois en intérieur), pour le plaisir de leurs auteurs et de quelques amateurs de passage. Editions du Sandre, 2017.

  • - Le site de Henk Van Es, Outsider Environnments: https://outsider-environments.blogspot.com/2023/01/mario-goldoni-maison-dite-soleil-sans.html

    - La cartographie des Habitants-paysagistes du LaM: https://habitants-paysagistes.musee-lam.fr/