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Les tas de pierre de Michel Rousseau

Bessé-sur-Braye, 72310

Michel Rousseau - Visite en juin 2022

Les sculptures de Michel Rousseau s'admirent depuis la départementale en entrant dans la commune de Bessé-sur-Braye. Je pensais que la maison de Michel Rousseau serait accolée à son environnement mais j'ignorais qu'elle se trouvait en réalité à quelques kilomètres de là. Je sonne chez un voisin qui me donne la localisation de la maison. Il m'apprend que Michel lui a légué son terrain, n'ayant plus la volonté de continuer à ériger ses amas de briques et de blocs.

J'entre alors dans ce petit bout de terre pour explorer cet environnement. De curieux dômes de pierre jalonnent un petit sentier. Un autre ensemble d'installations plus compact se situe au niveau de l'entrée. Ces sculptures-architectures ont été réalisées au moyen d'un assemblage de pierres sèches, de briques ou d'ardoises agencées en strates successives sans qu’aucun mortier ou maçonnerie ne les relie.

Photographie: Romain Perrot

Photographie: Romain Perrot

Photographie: Romain Perrot

On pense alors aux habitats en pierre sèche de la région des Pouilles dans le sud de l'Italie, habitations surmontées de toits en forme de dôme ou de pyramide, ou aux édifices champêtres qu'on retrouve en Lozère ou dans L’Hérault. Il faut cependant noter que ces constructions ne sont pas habitables. Elles se dressent dans leur verticalité tels des totems mais ne renvoient pourtant à rien d'autre qu'à leur matérialité, rehaussées d'objets et de rebuts en tous genres : casseroles, bouteilles, faïences, bibelots... La végétation reprend progressivement ses droits ; des herbes folles poussent au sommet de ces constructions ou autour tant et si bien qu'elles se confondent avec le paysage.

Photographie: Romain Perrot

Photographie: Romain Perrot

Quelques panneaux et messages sont disposés à côté des réalisations et rendent compte des velléités créatives de leur auteur. Peut-on parler d’œuvres d'art pour autant ? Michel préfère qu'on les appelle autrement. « Comment ! Vous appelez ça des œuvres? Moi j'appelle ça des tas de pierres ». Ces réalisations lui paraissent presque insignifiantes aujourd'hui. Il me dit avoir réalisé de plus habiles ouvrages avant de s'être attelé à la création de cet environnement. Il se serait initié aux rudiments de la construction, de la maçonnerie et de l'agencement chez les compagnons du devoir. Ces quelques semaines de formation (même s'il n'a pas été affilié de manière définitive) ont été décisives pour la suite de son apprentissage. Ainsi il me décrit une sculpture ailée en béton ainsi qu'un auvent qui auraient fait partie de ses premières créations et qu'il aurait réalisées dans la demeure familiale non loin de Bessé-sur-Braye, sur la route de Vendôme. Cette maison appartient désormais à son frère et Michel doute du fait qu'il me soit possible de solliciter une visite. La femme de Michel me montre une très jolie reproduction peinte de cette maison et je découvris les œuvres en question. « Ça ce sont des sculptures ... Comment les appeler autrement... Oui oui, ce sont bien des sculptures alors que les autres choses que j'ai faites sur mon terrain ce ne sont que des tas de pierres ( …) Les tas de pierres c'est tout simple, je les mets les unes aux côtés des autres. »

J'argumente que la technicité n'est pas toujours un gage de qualité et que ce site qu'il déprécie (sans le désavouer) est remarquable en bien des points. L’aspect insolite et spectaculaire de ces assemblages de matériaux hétéroclites sont insolites suffit à provoquer l’admiration. « On ne fait pas toujours la même chose chez les compagnons, il faut pouvoir varier, mélanger (…) Chez les compagnons il fallait faire quelque chose avec ses mains et que ça reste ». Michel en revient systématiquement à son expérience dans le compagnonnage, bien que courte, elle semble avoir été fondatrice.

Photographie: Romain Perrot

Il n'explique pas vraiment son ouvrage sculpté. Il a œuvré pendant toutes ces années de manière presque inconsciente et se demande aujourd'hui comment il a bien pu en arriver là. Le créateur dépend de forces instinctives dont il a conscience mais qui en partie échappent à sa raison. Il se laisse aller à faire des tâches qui peuvent le dépasser... L'art se situe alors bien souvent au-delà de la raison. « On voit le résultat fini et se on se demande comment on a pu être capable de faire ça (...) J'ai acheté un bout de terrain pour faire quelque chose. C'est à la portée de tout le monde de faire des choses (…), l'essentiel c'est de travailler de ses mains (…). Il fallait de l'ordre chez les compagnons, un peu comme dans une secte : il ne fallait pas boire ni fumer et on devait avoir une bonne éducation (…) J'ai 86 ans... je n'ai jamais bu, jamais fumé, on a été élevé comme ça dans la maisonnette. Je trouve que c'est une bonne éducation. Il y a tellement autre chose à faire (…). L'homme est fait pour travailler, pas pour rester sur une chaise à regarder la télévision. »

Photographie: Romain Perrot

Michel a entrepris son ouvrage en 2009 et ne s'est arrêté qu'il y a 4 ou 5 ans. « Je n'ai pas attendu la retraite pour faire ça. Je faisais ça les week-ends et en semaine je travaillais à la papeterie ». Il a décidé de léguer le terrain à Francis qui habite juste en face de son environnement. Ce dernier est censé conserver les sculptures. « Ce serait bien que ces tas soient conservés. C'est bien de garder une trace ». Le seront-ils dans quelques années ? Francis tiendra-t-il sa promesse ?

Photographie: Romain Perrot

Contrairement aux informations collectées à son sujet sur Internet, Michel m'assure que les briques les pierres et ardoises n'étaient pas présentes sur le terrain au moment de son acquisition. Il a apporté tous ces matériaux en glanant ça et là, effectuant des allers et retours dans les déchetteries. A l'origine il n'y avait que des arbres sur ce terrain. Quelques habitants du coin lui ont apporté des matériaux pour ériger ses tas. Force est de constater que Michel a toujours eu le goût de l'accumulation. Il me montre une importante collection de cartes postales regroupées dans des albums photos soigneusement rangés. Son garage faisant office d'atelier-débarras s'apparente à un petit musée d'objets récupérés classés et catégorisés. On y retrouve pléthore d'outils agricoles, de tableaux, d'horloges, de plaques décoratives peintes, de porte-clés, de bâtons de berger qui a lui-même taillés... Il semble enfin déterminé à se séparer de tous ces objets encombrants et à remettre de l'ordre dans sa maison.

son atelier

C'est aussi pour cette raison qu'il décide de façon concomitante de léguer son terrain à Francis. Cet ordre auquel il rêve, à la fois pratique, moral et sociétal, constitue chez lui un moteur de conduite et d'exemplarité. Je lui rends visite en plein contexte électoral et sa femme et lui-même n'hésitent pas à me signifier qu'ils placent tous leurs espoirs en la figure de Marine Le Pen pour pallier à la faillite progressive de la France. « On n'a plus d'usines, on n'a plus de richesses »... Sa femme a été licenciée à l'âge de 56 ans après avoir travaillé pendant 42 ans à l'usine. « On m'a fait sortir de l'école à l'âge de 14 ans pour me faire entrer à l'usine »...

Photographie: Romain Perrot

Michel, quant à lui, a bourlingué. Il a fait la guerre d'Algérie puis s'en est allé à Bangui en Centrafrique comme « volontaire du progrès » attaché à la coopération au développement. Engagé comme maçon pendant 2 ans, il a aidé à la construction de maisons et transmis son savoir-faire aux populations locales. Je lui demande alors s'il aurait pu être inspiré par certains habitats ou types de constructions découverts lors de ses pérégrinations. On retrouve en effet, dans l'étude des habitats traditionnels, de nombreux exemples d'appareillages bâtis sans mortier et d'exemples de voûtes d'encorbellement (à peu près similaires aux tas de pierres de Michel), autant d'« architectures sans architecte » constatées dans l'architecture vernaculaire. Michel n'a aucune certitude sur ce qui avait bien pu influencer son ouvrage. Il affirme avoir voulu à tout prix réaliser des formes rondes. Le rond l'a toujours fasciné. Le plan circulaire a d'ailleurs servi aux toutes premières constructions humaines. Le rond n'a « pas de finition » selon ses dires. Il finit par s'enhardir en supposant que ces tas pourraient bien faire office de lieux commémoratifs. « On viendrait se recueillir sur ces tas un peu comme si on allait au temple ». Ces constructions pourraient alors revêtir une fonction symbolique.

Photographie: Romain Perrot

Elle n'ont pour autant rien de sacré pour Michel, elle ont tout juste le droit d'exister... Il est curieux de constater qu'il accorde si peu d’intérêt à l’œuvre d'une décennie. Certes, il ne serait pas défavorable à la préservation du site malgré son manque de confiance dans son art. « Pour être compagnon il faut faire une œuvre, mais ces tas de pierres n'en font pas une œuvre... Il faut faire quelque chose qui sorte de l'ordinaire, quelque chose de bien. » Mais ce tas de pierres ce n'est pas quelque chose de bien? « Ah non! C'est pas quelque chose de bien.» Cependant, il semble se contenter de ce constat d'échec. Même s'il n'a pas réalisé de grand œuvre, il a tout de même créé quelque chose de ses mains. « Au moins chacun peut faire quelque chose pour qu'on se souvienne de lui (...). La vie est longue et courte (…) et suis bien content d'avoir fait ça parce qu'on ne vit qu'une fois. »