Cartographie des Rocamberlus

site title

Le musée de l'insolite de Bertrand Chenu

Lieu-dit Liauzu, 46330 Cabrerets

Photographie: Cathy Del Mol

Bertrand Chenu - Visite en août 2021

Site ouvert d'avril à octobre.

La maison-musée de l’insolite de Bertrand Chenu est nichée au pied de la falaise de Rochecourbe à 3kms du village de Cabrerets. Son musée est véritablement accolé à la paroi de la roche. L’ombre de la falaise plane sur cet environnement exceptionnel. Lorsque j’arrive sur le site, Bertrand est déjà à l’entrée de sa maison-musée qui se trouve au bord de la route : il peste et fulmine contre des automobilistes qui viennent de ralentir en prenant des photos de sa maison alors que les photos sont réservées aux visiteurs du musée et non pas aux curieux qui souhaitent prendre un cliché rapide depuis la vitre de leur véhicule. Un panneau l’indique bien dès l’entrée du site. L’entrée est à prix libre. Après avoir payé, Bertrand reste à disposition des visiteurs mais nous laisse faire la visite en solitaire.

musee-de-l-insolite

On entre d’abord dans une salle sombre remplie d’objets, de sculptures, de tableaux, d’affiches, de plaques illustrées. Il y en a partout : au plafond, au sol, dans tous les recoins de la pièce. Cet endroit rassemble à la fois des créations originales de Bertrand mais aussi des objets récupérés au hasard de ses trouvailles, exposés tels des Ready Made. Les formes insolites de ces trouvailles lui évoquent des sujets aux titres humoristiques. Cette salle se présente aussi comme un musée d’archéologie parodique, présentant des objets d’époque contemporaine comme des fossiles de temps anciens. Des légendes fantaisistes sont apposées pour évoquer la prétendue origine des objets classifiés. Il revisite par exemple l’histoire de France à travers un inventaire de petits objets du quotidien excavés grâce à son détecteur de métaux dans la nature environnante. Ainsi une fausse « reconstitution d’époque de la bataille de Poitiers » nous est narrée sur un pan de table présentant un bric à brac d’objets détournés. L’humour est bien au cœur de l’œuvre de Bertrand Chenu. Cet humour est tantôt grivois, tantôt poétique mais aussi absurde ou encore empreint de mots d’esprit. Chaque œuvre a été pensée comme un pied de nez, un détournement avec des références à la culture populaire ou à l’actualité. Bertrand glane de-ci de-là des rebuts du quotidien et leur donne une seconde vie pour y distiller une poésie du banal. Il ne fait pas que récupérer des objets dont il détourne le sens ou la fonction d’origine mais il crée à partir de ces rebuts. Il soude, assemble, colle de façon à concevoir des sculptures hybrides ou des installations pleines de sens.

Reconstitution d'époque de la bataille de Poitiers

Bertrand Chenu a mis en vente quelques affiches et cartes postales qu'il a lui-même détournées, au ton satirique proche du journal Hara Kiri. Des affiches de rock psychédélique, de Jimi Hendrix à Frank Zappa sont exposées au plafond et posent le décor d’un univers aux références soixante-huitardes. Après lui avoir acheté la reproduction d’une affiche du film « 300 motels » j’en profite pour m’entretenir avec lui. Nous évoquons le cas de certaines figures de la contre-culture américaine dont l’auteur de BD Robert Crumb et son personnage Fritz le chat que Bertrand affectionne particulièrement. Bien qu’autodidacte Bertrand convoque un univers culturel riche en références.

chevaliers de l-apocalypse

La suite de la visite se fait dans le jardin pour un changement d’échelle assez radical. Après avoir admiré pléthore d’artéfacts de petites dimensions on découvre un environnement aux vastes sculptures et installations. Le long de la paroi rocheuse, sur le flanc de falaise, on y aperçoit des motards, effrayantes répliques contemporaines des cavaliers de l’apocalypse, ou des guerriers déchainés du film Mad Max. On retrouve à l'extérieur le gout de la collection, de l’inventaire et du détournement chers à Bertrand Chenu. Certaines installations sont monumentales comme cette voiture désossée dont la carrosserie a été déployée telle une peau de bête tendue sur un panneau. Cette installation m’a fait une très forte impression et aurait tout à fait sa place dans un musée d’art contemporain. On se demande alors comment il a pu démantibuler un tel engin....

installation auto

passerelle

J'empruntais, un peu plus loin, une passerelle en forme d'insecte géant pour accéder à un niveau supérieur du jardin et tombais sur une autre installation déroutante: une tente bleu Quechua posée à la verticale de la paroi rocheuse qui n'était pas sans rappeler les mises en scène dans des situations improbables, défiant la gravité, de l'artiste photographe Philippe Ramette. Tout comme ce dernier, Bertrand Chenu invite à l'imagination, à la projection d'une autre possibilité, pour proposer des œuvres oniriques et humoristiques à la fois. Il transfigure l’ordinaire en monde merveilleux.

chenu ramette

Ready Made Yvette Horner

En plus d'exposer son œuvre titanesque, Il s'attache à rendre hommage à deux artistes dont il a recueilli la collection et consacré à chacun une salle de son musée : La salle "Jean Baptiste Supiot" met en lumière l'œuvre du peintre nantais décédé en 2015. La famille de Jean Baptiste avait offert à Bertrand une partie de son œuvre constituée d'images/jeux de mots et d'objets rébus qu'il décidait alors de présenter pour faire perdurer ces objets qu’il qualifiait d’ "insolites".

une œuvre de Jean Baptiste Supiot

une œuvre de Jean Baptiste Supiot

Les "Mouniques" de Christiane Dardé, forme patoisée de mannequins, sont également disposées dans une autre salle de son musée. Bertrand lui consacre d'ailleurs un texte émouvant: « Cette dame qui avait tant œuvré et dépensé sans avoir vraiment reçu la considération qu’elle méritait, a dû quitter, pour l’hôpital, son monde extraordinaire, qui dans son bon génie sombra dans l’oubli. Christiane Dardé de son vivant, contait, racontait, écrivait et bricolait ses personnages avec des vêtements chinés dans tout le Quercy. L’éventail de ses sujets était assez large pour dépasser l’iconographie régionale et s’inspirer des contes populaires sans frontières, mêlant aussi le diable ; la magie, la sorcellerie, à sa riche imagerie. Elle m’avait rendu visite un jour, me demandant conseil pour la gestion d’un musée et je lui avais rendu visite sans autant pouvoir visiter son étrange monde d’alors. C’est par un clin d’œil du destin que l’on m’a proposé ces personnages rongés par les mites et entassés dans un garage métallique humide d’où je les ai sortis à la limite de la destruction complète. Je les ai installés ici tels quels, toute tentative de restauration semblant inutile. En hommage à Christiane Dardé et à sa sœur qui m’a soutenu dans son sauvetage de mémoire et de traditions populaires, je vous demande, qu’au-delà du premier regard dégouté ou moqueur vous puissiez considérer la passion et le désir de partage qui ont animé cette dame comme authentiques et dignes de grand respect. »

Les Mouniques de Christiane Dardé

Je finissais la visite en découvrant les dernières réalisations de Bertrand: des œuvres au format éclaté proche de l'esprit Support/Surface faites sur linoleum. Son œuvre est protéiforme, il s'est essayé à tous types d'expérimentations et continue d'enrichir son musée de nouvelles réalisations et de trouvailles.

juré

Transporcs touristiques

Vache Folle

Je lui demandais pour finir s'il avait rencontré d'autres créateurs d'environnements insolites étant donné sa curiosité artistique. Il est allé voir Jo Pillet à UTOPIX, un environnement situé en Lozère, il y a quelques années. Jo lui avait d'ailleurs offert toute une collection de cartouches de fusil. On se souvient d'ailleurs de l'allégorie du Corbeau et du Renard exposée à Utopix réalisée uniquement au moyen de ces cartouches. Bertrand s'est servi des munitions de Jo pour réaliser une sculpture qu'il a exposée à l'entrée de son musée: un cerf, fauché en pleine course, une œuvre rendant hommage à un jeune garçon tué dans la région lors d'une partie de chasse.

Le Cerf de Bertrand Chenu avec les cartouches de Jo Pillet

Le Cerf de Bertrand Chenu avec les cartouches de Jo Pillet