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Le village miniature d'Octave et Roland Berthelot

Saint-Denis-d'Anjou, 53290

la maquette de la maison de ses rêves

Octave Berthelot ( 1930-2015) - visite en avril 2022

La maison d'Octave Berthelot est située au pied de l'église médiévale de St Denis d'Anjou. Les promeneurs qui viennent visiter l'église sont surpris de découvrir un village miniature en pierre dans le jardin attenant. Certains s’aventurent à prendre des photos depuis la haie mais aucun n’ose sonner sachant qu'il s'agit d'une propriété privée. Ce modèle réduit de village est pourvu d'une église, d'un moulin, d'un phare, d'un château et de ses commerces (épicerie, garage automobile...).

Photographie: Romain Perrot

Je presse la sonnette. C’est Roland, le fils d'Octave, qui m’ouvre la porte de la demeure familiale et m’invite à découvrir le jardin. Il me confie qu’à la mort de son père en 2015, il a décidé de prendre sa suite, en s’installant dans cette maison mais aussi en assumant pleinement la passion et le savoir-faire de son géniteur: "Quand Papa a commencé, j'avais 7 ou 8 ans. Je lui donnais un coup de main. Il a fait ça sur 10 ans. (...) Il tuait de la volaille tout près et quand il rentrait, il travaillait ses miniatures, les samedi et dimanche".

Photographie: Romain Perrot

Octave était encore en activité lorsqu'il s'est attelé à la réalisation de ce petit village. La retraite venue, il a déménagé et n'a pas poursuivi son œuvre. Il a travaillé dès son plus jeune âge : petit, il était garçon vacher, puis il a été embauché comme équarrisseur de volaille et a fini par faire de la maçonnerie. Il n'avait pourtant suivi aucune formation dans le domaine de la construction. Lorsque son futur patron s'est rendu chez lui pour découvrir son jardin miniature, il l'a aussitôt embauché. Octave s'est formé tout seul et l'environnement qu'il a réalisé lui a offert ce débouché professionnel. C'est assez inhabituel pour le souligner. Il aurait voulu être architecte. C'était un rêve auquel il ne pouvait pas prétendre mais il a souhaité à sa façon apporter sa pierre à l'édifice.

Photographie: Romain Perrot

En dépit de sa vocation contrariée, Octave concevait les plans de ses bâtiments. Une fois ces plans couchés sur papier, il s'attelait à leur réalisation. Ses maquettes étaient confectionnées à base de béton (pour le socle) et de ciment puis étaient recouvertes de pierre et d'ardoise. Parmi les fabriques présentes dans le jardin, il a reproduit l'église St Pierre de Bierné (à 13kms de St Denis d'Anjou) et le Château de Montfort, un palais perché qui surplombe la Dordogne. Il n'avait pourtant jamais visité l’édifice mais a décidé de le représenter d'après une photographie. Il a conçu dans un premier temps une réplique miniature en contreplaqué avant de le construire dans son jardin. Parmi les autres bâtiments existants, on reconnait le garage Babin situé au 5 route de Mire à St Denis d'Anjou. Octave a même doté le village miniature d’un éclairage électrique qui s’illumine ainsi à la nuit tombée.

l'église St Pierre de Bierné. Photographie: Romain Perrot

Photographie: Romain Perrot

Les autres fabriques qu'il a réalisées sont issues de son imagination. Sa toute première création est un moulin qu'il a par la suite rehaussé lorsque les autres constructions ont été érigées. Il fallait rééquilibrer les proportions du moulin au regard des autres bâtisses. Ensuite il s'est attelé à l'édification du château.

le château de Montfort. Photographie: Romain Perrot

"Tous les soirs il faisait des petits trucs. Il concevait les moules dans son atelier et il y avait beaucoup de réparations à effectuer". Ce petit monde miniature se cantonne à la partie avant de la maison. Il n'a pas continué au-delà de cette démarcation car le jardin était situé de l'autre côté. S'il n'y avait pas eu de jardin, il aurait continué à dresser des fabriques tout autour de la maison (...) Quand mon père faisait quelque chose, c'était son idée, personne ne l'en dissuadait (...) Il avait un sacré caractère (...) le jour où il a construit la table (une table en pierre aux proportions humaines), il l'a décoffrée vers 19h. Or quand il l'a décoffrée tout s'est écroulé. Bien sûr il n'a pas dîné : il a trié toutes les pierres une par une puis a tout lavé, il a appliqué le ciment et ne s'est couché que quand il avait fini. Il l'a remontée le soir-même (...) Quand ça n'allait pas, on le voyait bien, il fallait le laisser tranquille" (...) "On s'entendait bien quand on travaillait ensemble." Roland me confie avoir gardé précieusement la maquette du château de Montfort de son père pour la couvrir d'allumettes.

Photographie: Romain Perrot

Quelques années plus tard, il a commencé à concevoir ses propres maquettes dont une église et une maison subdivisée en trois parties. Il m’invite dans la maison pour que je puisse les admirer ; on passe dans le salon, télévision allumée, le chien déambule à nos côtés. Roland me conduit dans une pièce attenante où sont conservées ses créations. Je remarque des dessins d'enfant aux murs (les siens), un énorme poster de Franck Frazetta ainsi qu’une impressionnante collection de VHS et des bibelots en tous genres.

Photographie: Romain Perrot

Roland avait couvert la maquette du château de Montfort d'allumettes. "C'est la première chose que j'ai faite quand j'étais jeune (...) Papa était content de voir que je m'y mettais moi aussi (...) J'ai collé des allumettes sur son château que j'avais récupéré. Il ne souhaitait pas le garder. J'ai marqué le nombre d'heures pour les maquettes (...) Là c'est une autre maquette en allumettes que j'ai réalisée : "le château mon rêve". J'ai marqué sur un bout de papier le temps que ça m'a pris : 612 h,15000 allumettes, 3 ans de travail (...) Je faisais ça les week-ends, pas toute la journée."

"Le château de mes rêves". Photographie: Romain Perrot

Il me fait ensuite découvrir une maison miniature, au rendu extraordinairement précis. "Si j'avais été riche, j'aurais aimé avoir la même en grand." Roland a travaillé comme charpentier jusqu'à ce qu'il parte à la retraite. La maîtrise de la charpente de sa maison miniature est impressionnante. Il soulève le toit de la maison et me montre en détail les soubassements. Il a conçu également les meubles qui viennent décorer cette maison de poupée. Son œuvre est encore plus miniaturisée que celle de son père. On se demande alors comment il a pu affiner, sculpter de si petits objets avec autant de dextérité. Le point d'orgue de ce travail raffiné est l'escalier hélicoïdal qu'il a également conçu.

Photographie: Romain Perrot

Mais Roland ne s'est pas contenté de recréer son propre habitat rêvé, il a assuré la sauvegarde de l'œuvre paternelle pendant toute ces années. Il a restauré chacune des bâtisses en refaisant notamment toutes les toitures en ardoise. "Je n'ai fini que l'année dernière en 2021". Il démontait les tourelles pour les restaurer pendant l'hiver. "Quand on commence il faut aller au bout. Quand j'ai posé la première ardoise, j'ai compris qu'il fallait aller au bout. Quand j'en avais marre, je faisais un tour de jardin et je revenais. Les ardoises sont toutes taillées à la main (...) Je n'allais pas laisser ses créations tomber en ruine. J'ai grandi avec ces constructions dès l’âge de 7 ans. Je suis né ici et je ne bougerai pas. Mes frères ne s'intéressaient pas à l’œuvre de Papa et ça ne leur disait rien de reprendre le flambeau.(...) Il faut avoir de la patience mais les gens n'en ont souvent pas. Si je me tape le doigt, c'est pas la faute du marteau, c'est la mienne (...) Je ne fais plus de maquettes aujourd'hui. J'ai de l'arthrose dans les bras et les mains."

Le château "mon rêve"

château mon rêve: 612h, 15 000 allumettes, 3 ans de travail

Avant de m'en aller, j'admire les géraniums qu'il fait pousser en serre dans son jardin. Il approvisionne le village en fleurs depuis des années à titre gracieux. Sa contribution pour la sauvegarde du jardin de son père et la commune de St Denis d'Anjou traduit une bienveillance sans égale.

une maquette en allumettes d'octave

Le village miniature d'Octave Berthelot aurait bénéficié d'une petite reconnaissance médiatique au travers d'un reportage au journal de France 3, m'affirme son fils. Roland est fier de ce que son père a accompli mais fait preuve d'une grande modestie lorsqu'il s'agit de parler de sa propre œuvre. La nécessité de faire perdurer l’œuvre d’Octave et de la restaurer malgré les contraintes ne souffre d’aucun contestation. Il se dit être tout à fait disposé à faire connaître ce village miniature aux promeneurs. Sa solitude est somme toute conjoncturelle.

la charpente de sa maison idéale

Photographie: Romain Perrot