Cartographie des Rocamberlus

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Jo Pillet et son Utopix

La Sirvente, 48210 Gorges du Tarn Causses

Jo Pillet - Visite en août 2020

Site ouvert aux visiteurs d'avril à octobre.

Utopix est un environnement situé en Lozère au lieu dit la Sirvente sur le Causse de Sauveterre créé par Jo Pillet dont la construction a été amorcée vers la fin des années 70. Pendant plus d'une vingtaine d'années le site s'est progressivement transformé, agrandi, enrichi de fabriques diverses. Au cœur de se site se niche une maison igloo, architecture organique composée de 8 coupoles développées en spirales, qui évoque l'habitat des Barbapapa. Cette «habitation sculpture» s'apparente presque à un organisme vivant. Nous sommes connectés aux formes de la nature et de l'univers dans cet environnement qui est bien plus qu'un espace de vie ou un parc d'attraction. On le ressent lorsqu'on pénètre et s'imprègne du lieu.

Autour de cet habitat, l'espace extérieur s'étend tellement qu'on ne sait plus ou il s'arrête. Je parcourais le domaine à la recherche de nouvelles sculptures ou de jeux jusqu'à me rendre compte que je marchais trop loin, je revenais ainsi à hauteur du site mais m'égarais à nouveau car les délimitations n'étaient pas prononcées. A l'entrée d'Utopix, j'ai été accueillie par Pierre, le fils de Jo et Dominique qui m'a remis un petit panier avec des balles de tennis et de golf pour pouvoir suivre le circuit de jeu aménagé. Je découvrais alors les diverses installations ludiques, flipper géant, parcours de mini golf ou de croquet, labyrinthes, jeux d'adresse ou jeux de hasard, balles rebondissantes, balles de golf glissant le long de rigoles tortueuses. On suit le trajet des baballes sous un soleil de plomb. Je me divertissai en solitaire, me parlai à moi même lorsque je ratais un lancer, ou engageai ma balle sur une mauvaise pente... J'avais même l'impression de jouer ma vie si la balle allait du mauvais côté.. j'ai même pû participer à un test de QI en lançant une balle dans un trou et sa trajectoire aléatoire m'a rendue un verdict implacable: je pouvais être géniale ou nulle...Ma nullité s'est révélée au grand jour. J'étais démasquée. Je demandais à Pierre si Jo aimait jouer car pour concevoir un espace de jeu aussi ambitieux il devait sans doute s'y intéresser de près. Étonnamment, Jo avait seulement conçu cet espace pour divertir et émerveiller les enfants qui découvraient cet environnement.

Non loin de ces installations mécaniques ludiques, on découvre des sculptures parées de pierres locales (prélevées sur les collines voisines) qui semblent avoir été excavées d'un site préhistorique. On tombe sur un œuf préhistorique géant, une voiture datant de l'âge de Pierre, un rhinocéros antédiluvien, une moto fossilisée.. Plus loin s'érige un monument qui n'est pas sans rappeler l'artiste Gaudi et les ondulations architecturales du parc Güell. Il s'agit d'un belvédère depuis lequel nous pouvons contempler la nature qui s'étend à perte de vue. Le vent s'engouffre dans la vallée et le bruit évoque celui des vagues...Ce lieu a sa propre vie et le temps s'arrête lorsque nous le pénétrons.

On se promène dans ce jardin pittoresque, jalonné de plusieurs fabriques, un château, une maison champignon, un bus décoré. J'ai préféré commencer par la visite du jardin pour ensuite entrer dans la fraîcheur de la maison igloo. On a l'impression d'entrer dans le corps d'une bête monstrueuse. Les façades de la maison nous dévisagent, un œil en pierre nous scrute avant même que nous pénétrions à l'intérieur. On a peur de réveiller la bête et on entre dans un silence solennel. Des pièces sinueuses s'offrent à nous, c'est à la fois un petit musée et un lieu de vie avec une salle de bain, une cuisine...Les tableaux de Jo tapissent les murs de la pièce principale. Les arabesques et les courbes structurent également l'intérieur de l'habitat. Les parements en mosaïque du foyer remplacent les appareillages de pierre à l'extérieur. On y contemple une grande sculpture, allégorie du corbeau et du renard faite à partir d'un assemblage de cartouches de fusils. A côté de cette imposante réalisation, un petit ensemble de peintures représentant des célébrités rappelle les compositions énigmatiques de Salvador Dali, comme ce Cyrano de Parano que j'ai pris en photo. La fraîcheur de l'espace intérieur me fait du bien, je commande un rafraichissement auprès de Dominique la femme de Jo et prends le temps de m'assoir et d'admirer tous les artefacts qui m'entourent...Il y a tant de choses à voir, tant de peintures , de sculptures, de mots, d'annotations et de réflexions sur le monde que Joe cherche à faire partager.

On essaie de recoller les pièces du puzzle, on espère accéder à un état de conscience et de compréhension du monde à travers ces nombreux signes. Je finis la visite en consultant deux classeurs qui retracent la vie d'UTOPIX: de la découverte du site, au chantier pharaonique étalé sur la durée, à l'histoire familiale touchante. C'est un album de famille que l'on parcoure, on y voit Jo et sa femme dans leurs jeunes années, puis l'arrivée des enfants qui grandissent et s'amusent dans le domaine. Je me demandais alors comment les enfants percevaient ce lieu. Comment voyaient-ils leur père, quel regard portaient-ils sur cette entreprise colossale, sur l'œuvre d'une vie? Pierre souhaite rénover et poursuivre ce chantier en perpétuel mouvement. Jo et Dominique font visiter ce site en période estivale depuis 1993. Les curieux et les journalistes avaient commencé à affluer et l'idée d'accueillir du public et de faire payer les visites s'est faite avec le temps. La famille ne sollicite l'aide d'aucune commune ou institution. «Que deviendra Utopix avec la génération suivante?», c'est la légende qui apparaît sous une photo de famille. Joe et sa famille sont visiblement opposés à l'idée que le site soit récupéré, racheté et muséifié. «On ne veut pas d'un musée comme celui de Robert Tatin ou du facteur cheval dont le site est en partie défiguré par des sanitaires, un parking, des espaces bétonnés!».

Joe n'était pas à Utopix ce jour là, je n'ai donc pas eu la chance de converser avec lui. Cependant entre l'accueil proposé, la documentation affichée aux murs comprenant des articles de presse et des citations diverses, nous sommes véritablement guidés pendant la visite. Jo sème par ci par là quelques réflexions écrites empruntées ou personnelles pour tenter d'expliciter sa pensée et par là même sa démarche artistique. On retrouve par exemple une citation de Nassim Haramein, auteur de «l'Univers décodé ou la théorie de l'unification», ouvrage qui convoque divers champs d'études tels que la cosmologie, la physique, la biologie, l'anthropologie. Il y définit dans cet ouvrage une série de mesures géométriques qui jouent un rôle crucial dans la création. La citation est la suivante: «Il est possible de conclure de notre compréhension des informations et de la mémoire de l'espace (le temps) que l'univers s'étend et accélère parce qu'il apprend à propos de lui-même et que cela demande plus de surfaces pour stocker les informations holographiques de Planck» et sur le même panneau, une autre citation non légendée, sans doute de Jo ou il écrit: «Nous (toute la biologie) sommes le mécanisme de feedback que l'univers utilise pour en apprendre plus sur lui même». Plus loin, une autre citation de Nikola Tesla «J'essaye de réveiller l'énergie contenue dans l'air; Il y a beaucoup de sources d'énergie. Ce que l'on considère comme de l'espace vide est juste la manifestation de la matière qui n'est pas éveillée»…«Chaque être vivant est un moteur adapté aux rouages de l'univers. Bien qu'apparemment uniquement touchée par son environnement immédiat, la sphère d'influence externe s'étend à une distance infinie.» Comment comprendre tous ces écrits affichés aux murs au regard de la démarche artistique de Jo Pillet? De ces données bibliographiques et de la contemplation du site j'en déduisais que nous faisions partie d'un grand tout, que nos sources d'énergie conjuguées à celles de la nature s'harmonisaient et que les formes contenues dans la nature étaient une source d'inspiration directe dans la création artistique. D'un point de vue esthétique comme comportemental cette nature a beaucoup à nous apprendre.

L'environnement de Jo Pillet s'inspire directement des créations de l'architecte «habitologue» Antti Lovag qui développe une architecture organique, plus naturelle, en harmonie avec la morphologie humaine. Sa maison bulle édifiée à Fontaine-sur-Saône, véritable manifeste architectural d'art total, a eu une influence notable sur la réalisation d'UTOPIX.

Ces réflexions se retrouvent également dans son œuvre picturale. L'esthétique convoquée rappelle fortement les œuvres surréalistes de Salvador Dali au travers de formes organiques qui prolifèrent et s'imbriquent les unes aux autres. La facture ainsi que le choix de couleurs vives évoquent de la même façon le travail du maître catalan. L'hommage est totalement assumé et j'ai appris par Bertrand Chenu, auteur autodidacte et créateur du «musée de l'insolite» à Cabrerets, que Jo Pillet se rendait à Portlliga près de Cadaqués pour visiter la maison-musée de Dali.

Les hommages sont revendiqués mais la singularité de son environnement prend le pas sur ces références précédemment citées. La situation particulière du site, tel un royaume de pierre inséré dans un paysage lunaire y joue pour beaucoup. Utopix n'est pas un parc d'attraction classique mais un parc à attraction céleste. Jo a l'air fasciné par l'énergie contenue dans l'air et la nature. Utopix est ancré dans cette nature sauvage et indomptée. Les installations ne dénaturent pas l'environnement. Beaucoup de personnes se méprennent sur la nature du lieu et s'attendent à un ersatz d'un parc Asterix. Il suffit de lire certains commentaires sur internet qui s'indignent de la vétusté des installations ou de la précarité des matériaux utilisés. Les internautes mettent des notes, donnent des avis tranchés sans saisir l'esprit ou l'âme d'un lieu et se plaisent à détruire sa réputation sans connaître l'ambition profonde et poétique qui sous tend sa réalisation. On ne s'en étonnera pas...Il vaut mieux s'en amuser comme le font d'ailleurs les charmants membres de la famille de Jo Pillet qui m'ont si gentiment accompagnée.