Cartographie des Rocamberlus

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La maison en bouteilles de M. Dufrenne

19 Chemin du Moulin de la Groue, 45233 Ondreville-sur-Essonne

Photographie David Chouferbad

Mr Dufrenne (19XX - 19XX) - Visite en septembre 2024

La plupart de mes expéditions revêtent un caractère imprévisible. Mon travail préparatoire est souvent volontairement bâclé car moins j'en sais sur le statut d'un site, plus fébrile en est sa découverte. Je me dirige vers ma destination, le GPS m'avertit des derniers kilomètres à parcourir, je ralentis et aperçois au loin la dite maison. Je m'arrête devant, coupe le moteur, contemple l'œuvre depuis l'habitacle feutré et sors du véhicule pour entamer mon pèlerinage vers ce lieu de dévotion. Cette fois je suis accompagnée de mon ami David Chouferbad.

photographie David Chouferbad

L'investigation commence. Je scrute la maison en bouteilles de bout en bout, tourne autour, repère les demeures voisines. Les occupants de ladite maison surnommée "villa ma sueur" en lettres incrustées au niveau du portillon d'entrée, sont absents. Nous louchons devant ces lettres avec David, parfaitement incapables d'en déchiffrer ses caractères dans un premier temps , alors que sa lecture sur la photo ci-jointe ne semble présenter aucune difficulté, vous en conviendrez. Tels deux piètres investigateurs, nous collons notre nez contre le panneau, cherchant à percer le mystère de ces hiéroglyphes cunéiformes, et parvenons à traduire l'intégralité de son contenu composé de ... 12 lettres au bout de... 10 minutes. "Villa ma sueur"... Quel beau titre. C'est à la sueur du front de son constructeur que cette mignonne maison vit le jour. Combien de bouteilles de champagne a-t-il bu ou a-t-il fait boire à ses ami(e)s pour parvenir à l'édifier? C'est bien la question que l'humanité se pose chaque matin au petit déjeuner en lorgnant l'emballage de son paquet de cornflakes ... S'est-il approvisionné dans une déchetterie locale pratiquant le tri du verre? Impossible pour l'époque ! Il lui aura fallu boire des milliers de bouteilles pour l'achèvement de ce petit chef d'œuvre. Cette fois la réalité dépasse la fiction. Son rêve a été consommé.

Photographie David Chouferbad

Je me dois tout d'abord de souligner la difficulté de cette enquête, pourtant rompue à l'exercice de terrain et à la collecte d'informations auprès d'une population autochtone habituellement peu récalcitrante. Nous nous heurtâmes cependant à un mur, à des murs, à un chainage de parpaings en béton en BHP (à hautes performances) et nous embourbâmes dans une investigation dont la complexité et les fausses pistes disséminées de-ci delà ne nous apportèrent que peu d'éléments. Le locataire de la maison, une fois rentré chez lui, ne fut guère loquace, souverainement indifférent aux questions que je lui posais et m'indiqua de prendre contact avec l'agence si je souhaitais obtenir de plus amples informations. Il me lâcha seulement le scoop selon lequel il aurait retrouvé des cartes postales de la maison d'époque sans pour autant m'inviter à les consulter. Sa voisine, que j'interrompais visiblement pendant sa pause déjeuner se contenta de grommeler depuis le portail qui nous séparait pour me demander de repasser plus tard, ce que je fis mais mes coups de sonnette retentirent en vain. Me surveillait-elle campée immobile derrière le rideau de son séjour? C'est finalement un cycliste du coin, zigzagant au milieu de la route communale,, que je hélai sur le bord de la route, le regard fuyant, cramponné à son deux-roues et visiblement peu habitué aux interactions sociales qui me fournit les quelques informations lapidaires que je peux vous communiquer:

Photographie David Chouferbad

La maison fut construite il y a plus de quarante ans par M. Dufrenne, un restaurateur qui accueillait une clientèle du coin, des chasseurs et autres congrégations locales. Le père de notre vélocipédiste fréquentait ce relais de chasseurs, et avait sans doute doute contribué à écouler les quelques centaines de litres du précieux breuvage nécessaires à l'édification de la villa. Dotée du nom du restaurateur et constructeur je cherchai alors sur internet et tombai sur la fameuse carte postale dont me parlait son locataire. Serait-ce lui qui, après avoir retrouvé un lot de cartes postales dans la maison, décida de les mettre en vente sur "Le bon coin", à 10 euros pièce? Le vendeur est originaire du même bourg... Le bougre!

Carte postale de la maison datant de 1971

au dos de la carte

Le dos de cette carte indique qu'il aura fallu près de 15000 bouteilles de champagne pour venir à bout de cet aménagement de façade. Cette maison, remarquable pour son enchevêtrement de bouteilles, est un petit bijou architectural. Son volume est maitrisé, ses proportions harmonieuses, son charme incontestable. Les motifs constitués par ces bouteilles prises dans le ciment dynamisent les façades. Outre sa dimension décorative pour le moins inhabituelle, ce choix se serait peut-être porté dans le cadre de considérations d'ordre thermique. Les différentes qualités du verre (insensibilité à l'humidité, incompressibilité, étanchéité à l'eau…) permettent aisément un usage en isolation de façade.

carte postale non datée

Quelques semaines suivant ma visite, je retrouvai une nouvelle photographie colorisée au pinceau sur Tipeek - un site dédié à l'exploration de lieux insolites en France - encore plus ancienne que celle retrouvée sur "Le bon coin" . L'article venait d'être publié en octobre 2024 et nos recherches semblaient concomiter.

Une haie touffue, autrefois absente à en croire ces images du passé, cache désormais la devanture. Est-ce dans une intention délibérée de la rendre discrète et d'atténuer sa singularité que les propriétaires qui lui succédèrent firent ériger cette clôture végétale? En demandant mon chemin, à l'approche de ce site, quelques automobilistes pourtant du coin ignoraient qu'une telle maison existait. La végétation cache désormais la façade en bouteilles et seul le toit en bois en inclinaison inversée se laisse contempler.

Photographie David Chouferbad

En empruntant la descente de garage à l'arrière de la maison, nous tombâmes sur cette sculpture. Le cycliste rencontré quelques minutes après cette découverte, nous indiqua que cette sculpture avait été réalisée par un artisan du coin sans donner plus de précisions. Nous cherchâmes à corroborer ces dires en interrogeant le bourg sans succès. C'est en consultant les archives photographiques de Francis David datant des années 80's, figurant sur le site du LaM - Lille Métropole Musée d'art moderne, d'art contemporain et d'art brut, que je constatai que la sculpture était déjà en place. Je tiens par ailleurs à préciser que sans ce fond absolument colossal dont Francis a fait don, je n'aurais pas eu la chance de découvrir tous ces environnements hors du commun. Sans les explorations de Francis David et ce travail d'archivage photographique considérable, nous n'en connaitrions qu'une quantité négligeable.

Cette prospection infructueuse ne fait qu'aviver ma curiosité et une nouvelle expédition plus longue et préparée me permettra d'y voir plus clair, notamment en emportant dans ma besace les quelques bouteilles de mousseux qui délieront les langues des plus taiseux.