Cartographie des Rocamberlus

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Pierre Sourrisseau à la Croix-Bara

La Croix Bara, Saint-Mars-la-Réorthe 85700

Visite en janvier 2022

C'est en parcourant ma carte de France, noircie par les nombreux points correspondant à mon panorama cartographique personnalisé de ces "habitants-paysagistes", que je constatai un fait singulier : je retrouvai une forte concentration de sites aussi bien dans la région Nord-Pas-de-Calais qu'entre Vendée et Anjou Loir-et-Sarthe. Une diagonale pointilliste se traçait du Mans jusqu'aux Sables-d'Olonne, établissant des liens entre les sites troglodytiques de la région angevine : Bernard Roux à Doué-la-Fontaine, la Cave aux sculptures à Dénézé-sous-Doué, les villages miniatures : Octave Berthelot à Saint-Denis-d'Anjou, Eugène Choffat à Courtillers, ou encore Gilles Rantières à la Girauderie) et les autres jardins de sculptures : Vivi Fortin à la Flocellière, Emile Taugourdeau à Thorée-les-Pins ou encore Pierre Sourrisseau à la Croix-Bara. Comment expliquer une telle concentration? La topographie de la région y est pour beaucoup en ce qui concerne les sites troglodytiques.

Photographie: Romain Perrot

Photographie: Romain Perrot

Histoire et mémoire collective surgissent également au travers de certaines réalisations. C'est le cas de l'environnement de Pierre Sourrisseau et dans une moindre mesure de celui de Vivi Fortin. Situés à quelques kilomètres l'un de l'autre, Pierre et Vivi furent amenés à œuvrer sur les mêmes chantiers de construction, l'un engagé comme maçon et l'autre comme plâtrier. Ils ont cette autre particularité commune qui fait que leur œuvre est profondément empreinte d'histoire régionale. Le cœur vendéen, symbole identitaire fort qui apparaît de façon récurrente dans leurs réalisations, rend compte de cet attachement fort à la région. Ce cœur aura pourtant fait couler beaucoup d'encre de part son ancrage monarchique et religieux (le cœur est rehaussé d'une couronne et d'une croix).

Photographie: Romain Perrot

Outre la référence à ce symbole d'appartenance, Pierre Sourrisseau nourrit une véritable passion pour l'histoire de France et l'histoire locale au travers des guerres qui l'ont jalonnée, notamment la guerre de Vendée en pays angevin. Il m'apprit, dès les premières minutes qui suivirent notre rencontre, qu'un ancêtre de sa femme, voiturier de profession, fut assassiné lors de la bataille du Mans entre le 12 et le 13 décembre 1793. Il a représenté cet événement sur un pan de son mur d'habitation. Cette passion pour les faits historiques, qu'il intrique parfois avec sa propre histoire, se manifeste au travers de ses œuvres : sculptures, peintures, bas-reliefs. Il s'est constitué un petit musée, dans un bâtiment annexé à son habitation, pour donner à voir ses productions et fournir sa propre documentation historique. Il a fait rédiger ses mémoires par une de ses filles afin de retracer son parcours de vie. Appelé du contingent lors de la guerre d'Algérie, il ne restera qu'une dizaine de mois avant d'être réformé pour maladie. Il narre cette histoire dans ses mémoires, entre autres faits autobiographiques qu'il étaye également dans ses œuvres. En 1976, un pan de façade de la maison fut démoli par l'emboutissement d'un camion de chantier : l'idée lui vint alors de sculpter un vendéen à taille humaine à l'endroit même de la collision. Cette étape de création scellera véritablement ses ambitions artistiques et aboutira à l'élaboration de ce vaste environnement.

Chirac et Bernadette. Photographie: Romain Perrot

Je n'avais, jusque là, jamais appréhendé une telle multiplicité de productions au sein d'un même environnement. Pierre Sourrisseau est un artiste total qui s'essaya, sa vie durant, à maîtriser divers médiums et techniques de production : sculpture sur pierre, sur bois ou en terre cuite, moulages, peintures, gravures... Il aurait même créé des images animées au moyen de dessins fixés sur un dispositif de sa confection qu'il faisait défiler. Même si la qualité des productions diffère selon les techniques employées, la quantité n'en est pas moins incommensurable. Les œuvres fourmillent dans ce cabinet de curiosités où sont entreposées et exposées ses artificialia.

Photographie: Romain Perrot

Photographie: Romain Perrot

Mais c'est encore à quelques dizaines de mètres de sa maison qu'il est possible d'admirer son ouvrage le plus considérable : il a aménagé sur un chemin de terre, le chemin de la Croix-Bara, un tronçon de voie romaine égrenant une centaine de sculptures. Celles-ci renvoient à diverses périodes de l'histoire de France : de la préhistoire à nos jours de façon plus ou moins fantaisiste comme ce tractosaure préhistorique, une voiture-arbre aux associations fécondes.

Le tractosaure. Photographie: Romain Perrot

Photographie: Romain Perrot

Une étonnante tentative de reconstitution d'un habitat gaulois rend compte également des velléités historiographiques de Pierre Sourrisseau. Ballade pittoresque et excursion archéologique se confondent et ne sont pas sans rappeler les premières explorations des antiquaires du XIXe siècle à l'origine de la naissance de l'archéologie. Ce basculement de la promenade vers l'exploration scientifique, aussi idiosyncratique soit-il chez M. Sourrisseau, est tout à fait significatif dans cet environnement.

Tentative de reconstitution d'un habitat gaulois. Photographie: Romain Perrot

Photographie: Romain Perrot

De nombreuses personnalités de la vie politique sont représentées, à la fois des élus locaux tout comme de grandes figures de l'histoire de France. Certaines œuvres impressionnent de par leur monumentalité, de par l'imaginaire convoqué ou leur poétique surréaliste.

Photographie: Romain Perrot

Photographie: Romain Perrot

Photographie: Romain Perrot

Les œuvres sont souvent insérées dans une végétation abondante tant est si bien qu'il nous faut avancer pas à pas, redoubler de vigilance pour tout appréhender et ne rien manquer. C'est sur le chemin du retour qu'on ne peut que constater certaines omissions au cours du trajet aller. Pierre n'attendit pas l'âge de la retraite pour s'engager dans ce vaste projet d'aménagement qui débuta à l'année 1995. Il dut creuser ce chemin des années durant avant d'ériger les premières sculptures. Au cours de la visite, Pierre ne fit que donner des descriptions factuelles des différentes œuvres qu'il me présentait : « Ça, c'est Le Chevalier Landreau (…). Et ça, c'est le Général de Gaulle (...). J'ai voulu faire Hollande mais il ressemble davantage à Jean-Luc Reichmann (…). Ça, c'est Ben Laden et JR, les deux figures du mal. »

Ni Hollande, ni Reichmann, Macron? Photographie: Romain Perrot

Ben Laden et JR

Pierre se confie peu et ponctue cette balade de commentaires et de gestes monstratifs. Il n'explique ni son ambition, ni son processus de création. Il faut savoir s'en contenter et le suivre docilement là où il souhaite nous emmener. Nous nous asseyons après avoir fait le tour du propriétaire et sirotons un verre en consultant la page qui lui est consacrée dans le Gazouillis des Éléphants. Bruno Montpied eut l'amabilité de lui offrir le livre lorsqu'il lui rendit visite quelques années plus tard.

Photographie: Cécile Menez

Le chevalier du Landreau

De sa propre initiative, Pierre Sourrisseau décida, à l'âge de 78 ans, de rénover le calvaire historique de la Croix-Bara dont le socle était recouvert de mauvaises herbes. Il demanda au maire de Saint-Mars-la-Réorthe de lui fournir les matériaux nécessaires à l'édification d'un nouveau socle orné de bas-reliefs. Il représenta sa terre nourricière vendéenne personnifiée sous les traits de sa mère aux côtés du général Clemenceau, d'un cœur vendéen ou encore du maréchal de Lattre de Tassigny, officier général français, héros de la Seconde Guerre mondiale et compagnon de la Libération. Lorsqu'il ne dispose pas des moyens suffisants pour se procurer ses matières premières, il prélève de l'argile dans les briqueteries du coin : il la prépare ensuite, la filtre, la laisse décanter, l'eau s'évapore progressivement et celle-ci prend la forme d'un mastic qui la rend prête à l'emploi.

Chirac

Sarko et Carla

À 84 ans, Pierre n'a pas mis fin à ses ambitions créatrices et me montra sa dernière réalisation dans son garage/atelier : Lionel Messi et « Macchabée » enfin plutôt « Mbappé » ; il l'a affublé de ce surnom sans pouvoir se souvenir de son patronyme. Les profils sculptés de Messi et de Mbappé sont insérés dans un cadre en terre cuite et séparés au centre par un globe terrestre en bas-relief. L'inscription « Qatar » figure en bas de ce bloc sculpté. « J'ai mis ça mais je ne sais même pas ce qu'est le Qatar. Je sais que ça a un rapport avec la coupe du monde mais je ne saurais pas vous en dire plus ». Il m'avoua ne pas être un grand supporter de football mais souhaitait par là-même rendre compte de l'actualité du moment. Le cours des événements se suit et les idées naissent !

Messi et Macchabée