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Le jardin enchanté d'Émile Taugourdeau

33 route de Vaulandry, Thorée-les-Pins (Sarthe)

Émile photographié par Francis David

Émile Taugourdeau (1917-1989) - Visite en mai 2016

Émile exerçait la profession de maçon avant le déclenchement de la seconde Guerre Mondiale. Enrôlé comme soldat, il revint mutilé et poursuivit ses activités d'avant-guerre en dépit d'un handicap au pied qui l'incommodera tout au long de sa vie, jusqu'à précipiter son départ à la retraite vers la fin des années soixante. Dès lors, il mit à profit ses compétences de maçon afin d'ériger un extraordinaire jardin de sculptures animalières et anthropomorphes de près de 500 figurines. A la fin de sa vie, il peignait des tableaux en ciment "qu'il "rafraîchissait" périodiquement à coups de jets d'eau" comme s'étonnait Bruno Montpied dans son ouvrage Le gazouillis des éléphants.

Le point de départ de cette œuvre colossale aurait été la confection d'un canard sculpté faisant suite à la perte d'un anatidé tant chéri par un des petits-enfants. Émile s'en émut en voyant l'enfant inconsolable et décida d'en produire une réplique en ciment. Il se prit de passion pour cet art de la statuaire et s'attela sans relâche, pendant près de trente-cinq ans, à l'édification d'un jardin de sculptures dans sa propriété.

Photographie: Francis David

Je n'eus malheureusement pas la chance de pénétrer dans l'enceinte de la propriété. Je frappai à la porte ainsi qu'aux volets d'une fenêtre sans obtenir de réponse alors même que j'entendais tousser à l'intérieur. Mme Taugourdeau vivait seule dans cette maison et n'avait sans doute plus l'énergie de recevoir des visites inopinées. Le voisin m'invita néanmoins à découvrir quelques sculptures visibles depuis son jardin, séparé de la maison des Taugourdeau par un simple grillage à poules; un dinosaure, un chien, un couple logé dans une cariole, un moulin, une antilope et la fameuse charmeuse de serpents (désormais privée de ses reptiles) se donnaient encore à voir malgré leur état d'usure avancé. Les œuvres étaient entourées d'une végétation dense et la plupart avaient été ensevelies dans le lierre et les ronces. Le jardin semble avoir été laissé à l'abandon au décès d'Émile.

Antilope photographiée depuis le jardin du voisin

Autre constat des plus regrettables, je relevai le fait que de nombreuses sculptures avaient insidieusement disparu. "La semaine dernière, une sculpture a encore été embarquée" me confia le voisin. Un petit-fils se mit à vendre ces effigies à des collectionneurs ou à des galeristes. "M'étonnerait pas que la mère Taugourdeau ne soit pas au courant de ces manigances (...) Les camions se garent devant la maison et je vois les statues se faire emporter". Le maire de la commune aurait même proposé à la famille de sauver ces sculptures de l'oubli et de constituer un petit musée mais la famille n'a pas donné suite, toujours selon ses dires.

Photographie: Francis David

"Très récemment on a vu à Paris, exposés sur des tréteaux dans la rue, des footballeurs, des lapins et des grenouilles d'Emile Taugourdeau (ça voyage)." rapportait Bruno Montpied dans son Blog Le poignard subtil. Nous assistons le plus souvent au démantèlement d'un site en toute impuissance. Il faut savoir accepter cette disparition et espérer retrouver au hasard d'un stand, dans l'arrière-boutique d'un antiquaire, les quelques vestiges de ces splendeurs d'antan.

Bernard Hinault photographié par Francis David.

C'est à la Fabuloserie, au LaM, musée d'art brut de Villenauve d'Asq, au musée des Arts Buissonniers ou encore au musée de la Création Franche (pour ne citer que ces institutions) qu'il nous est encore possible d'admirer certains de ces artéfacts.  A l'occasion de mes promenades muséales, je retrouve certaines de ces effigies ressuscitées qui me saluent courtoisement lorsque je me retrouve nez à nez avec elles, car elles savent que nous nous sommes déjà rencontrées par le passé. Je leur présente à mon tour mes hommages, n'osant pas leur avouer mon amour idolâtre par crainte qu'elles ne se dérobent à moi.

Photographie: Francis David