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Frédéric Séron, Boulanger au pressoir Prompt

Frédéric Séron par Robert Doisneau en 1949

Fréderic Séron - visite en novembre 2024

Le jardin de sculptures de Frédéric Séron ou ce qu'il en reste (1878 - 1959) - 140 boulevard John Kennedy, Corbeil-Essonnes (Essonne)

"Comme l'oiseau dans le ciel / Le gueux ne veut plus rien / J'ai tout vu sans rien avoir"

Ainsi s'exprimait Frédéric Séron dans les histoires qu'il écrivait et que recopiait l'institutrice du village. L'écriture n'était qu'un loisir dans l'œuvre du boulanger de Pressoir-Prompt. Son grand œuvre était son jardin, ses sculptures. Il en rêvait la nuit et œuvrait le jour.

Ce texte apparait dans le livre de Charles Soubeyran "les révoltés du merveilleux" qui présente l'œuvre d'une vingtaine de créateurs photographiés par Robert Doisneau et Gilles Ehrmann dans les années 50.

Photographie de Gilles Ehrmann

Photographie de Gilles Ehrmann prise en 1962

Doisneau rendait régulièrement visite à Fréderic Séron. Le livre indique de façon erronée que la demeure a disparu, or celle-ci se dresse encore et détonne par son architecture rendue anachronique au sein d'une banlieue méconnaissable. Il reste de sa splendeur passée quelques sculptures que j'ai pu photographier en février dernier.

Frédéric Séron fut le premier "bâtisseur chimérique" (pour reprendre la qualification de Robert Doisneau) suscitant l'intérêt des surréalistes après le Facteur Cheval. Séron avait d’abord bâti sa maison puis dessiné son jardin, en plantant des arbres et des fleurs. Ensuite, il l’avait orné, en sculptant des sujets à l’armature en fer recouverte de ciment. Son jardin s’était ainsi peuplé de dizaine d’êtres « vivants » : des plantes, des animaux petits (une tortue, des pigeons, un lapin, un coq, un chat, un chien, un mouton) et grands (des cygnes, une girafe, un cerf, des tigres et une lionne), un ange de la paix, une patineuse tenant des boules de neige, un clown niché dans un arbre, une sirène tenant un flambeau.

"Ce qui est difficile à fabriquer c'est l'armature en fer qui doit soutenir le ciment. Mais pour cela je prends tout mon temps, rien ne me presse. Dès que je travaille le ciment, par contre tout change. Songez que le ciment sèche vite et qu'une fois sec je ne puis rien retoucher, je suis obligé de terminer en une seule séance.... Le plus dur pour moi, c'est-à-dire le moment le plus pénible à passer, c'est lorsque je mets les yeux à mes bêtes. Mon esprit est occupé par cette opération délicate et tout à coup les yeux deviennent tellement fascinants que ma statue me fait peur."

photographie de Francis David

photographie de Francis David

Avant que le mortier ne sèche, il glisse dans chacun des corps sculptés un cylindre de métal, avec l’espoir qu’on le retrouve quand la créature aura disparu. À Pierre Dumayet, qui l’interviewe en 1949, il confesse ce désir et révèle leur contenu fait de coupures des journaux du jour (ce qu’il appelle « l’état civil » de l’œuvre), de ses propres photos et d’autres extraits de journal figurant des personnages importants de son époque. « Nous sommes tous enfermés comme des camarades dans son estomac », dit-il en parlant de la sculpture de la Sirène.

photographie: Robert Doisneau prise dans les années 50's

Il confère ainsi à ces œuvres une âme, une force incarnationnelle, contenue au delà de leur expressivité, renfermée dans l'écrin de leur abdomen. Ces sculptures se comportent donc comme un corps incarné, non pas seulement de façon métaphorique mais bien plutôt selon un mode réel; en dépassant ce qu’il y a de simplement visible en elles. Frédéric attribuerait ainsi une pensée magique de l'image dans laquelle sa représentation convoquerait un esprit, une présence au delà de sa matérialité.